Millénarisme,
prophète et cybernétique
Depuis toujours, les croyances millénaristes et la diffusion du
message apocalyptique ont un fort impact sur les individus. Comment s'expriment
ces angoisses à l'heure des médias numériques? L'image du prophète a-t-elle
réellement changé?
«Ils revinrent à la vie et régnèrent avec le Christ pendant mille ans. Les
autres morts ne revinrent pas à la vie avant l'accomplissement des mille ans»
(Ap. 20:4-5). C'est de cet extrait issu du Nouveau Testament que partent toutes
les croyances chrétiennes dans le millénium, c'est à dire dans le règne
terrestre du Christ pendant mille ans avant la fin du monde, et qui découlent
d'un héritage apocalyptique juif.
Au cours de l'histoire, les mouvements millénaristes se sont
diffusés par le biais des prophètes charismatiques. Un des exemples les plus
célèbres de prophètes millénaristes médiévaux s'est ainsi incarné en la personne
de Joachim de Flore. Prédicateur ambulant avant de devenir abbé cistercien en
1177, Joachim affirmait avoir reçu une révélation divine, et interprétait
l'Apocalypse en affirmant que la fin du monde était pour 1260. Sa prédication
ainsi que ses écrits, tels que ses Commentaires sur l'Apocalypse, ont eu un
retentissement sans égal au XIIIème siècle.
La figure humaine du prophète
De Nostradamus à Paco Rabanne, les grandes annonces apocalyptiques doivent
leur écho au charisme d'un prophète. En outre, même si ces prédictions se
diffusent par le biais de livres et de harangues sur la place publique (ou à la
télévision pour les plus contemporaines), elles restent attachés à la figure
d'un homme ou d'une communauté, phénomène intrinsèque aux mouvements
eschatologiques tout au long de l'histoire. L’étude des signes aidant à
décrypter le futur est un phénomène propre à chaque époque et l’ère de
l’informatique n’y échappe pas. Ainsi, certaines prophéties apocalyptiques
s'émancipent peu à peu d'une figure humaine, et deviennent progressivement
l'apanage d'entités immatérielles telles que des logiciels prédictifs.
Depuis une dizaine d’années, on assiste à une augmentation des préoccupations millénaristes sur la toile. Ainsi, au-delà de permettre aux communautés religieuses d’avoir une vitrine sur le monde, Internet est également objet de croyances : il est l’outil par lequel la fin du monde est annoncée.
Depuis une dizaine d’années, on assiste à une augmentation des préoccupations millénaristes sur la toile. Ainsi, au-delà de permettre aux communautés religieuses d’avoir une vitrine sur le monde, Internet est également objet de croyances : il est l’outil par lequel la fin du monde est annoncée.
Le projet WebBot
Créé aux Etats-Unis à la fin des années 1990, le «Projet WebBot» est un
programme d’anticipation du futur. Il a pour particularité d’articuler concepts
métaphysiques et statistique textuelle : il recueille et compile les
informations circulant sur Internet afin d’avoir accès à l’inconscient
collectif. C’est la répétition de certains sujets, dates et lieux qui indique
qu’il va se passer quelque chose autour de ces dits sujets. Initialement conçu
pour anticiper les cours de la bourse, il s’est peu à peu transformé en
entreprise «prophétique». Les concepteurs du WebBot, Clif High et George Ure,
nous expliquent qu’en 2001, le WebBot aurait anticipé les attentats du 11
septembre. En 2003, il annonce qu’«un alignement en 2012 avec le plan
elliptique de la voie lactée» aurait lieu et qu’une «énergie inconnue venue de
l’espace» se manifesterait, ce qui a été interprété comme les signes
annonciateurs de la fin du monde.
Prévue pour le 21 décembre 2012, l’apocalypse annoncée par
le WebBot s’inscrit dans un panorama plus large de croyances millénaristes.
Cette prédiction est principalement utilisée par les partisans du «21 décembre
2012» comme un élément scientifico-ésotérique venant valider la théorie selon
laquelle la fin des Temps est imminente. Le logiciel tient une place spécifique
puisque même si Clif High interprète la parole d’une Machine qu’il a lui-même
programmée, elle est appréhendée comme une entité en soi et certains internautes
vont jusqu’à la personnifier, occultant presque la dimension humaine qui a
contribué à sa création. Parfois appelé prophète numérique ou prophète
scientifique, il intervient dans ses discours comme l’ultime élément de cet
ensemble de théories millénaristes. Le programme est alors considéré comme un
oracle des temps modernes marquant un tournant dans la figure des prophètes qui
jusque-là étaient humains.
Cette volonté de décrypter les signes de la fin de Temps et
d’anticiper le futur à partir de l’informatique renvoie, d’une part, à une forme
d’ésotérisme contemporain, et d’autre part à une forme d’idéologie
technoscientifique. Le recours au WebBot à des fins eschatologiques appelle à se
demander si nous ne sommes pas en train d’assister, dans une certaine mesure, à
une «sacralisation» de la Machine. La science et la technique, après avoir
désenchanté le monde, participeraient-elles à son réenchantement ? par
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