Des musulmans retournent à la foi chrétienne
Les sons d’un orgue accompagnent la messe dominicale d’une petite communauté d’Albanais kosovars catholiques et se répandent sur les collines entourant leur village isolé du Kosovo où les chrétiens sont un îlot perdu au sein d’un océan musulman.
Les sons d’un orgue accompagnent la messe dominicale d’une petite communauté d’Albanais kosovars catholiques et se répandent sur les collines entourant leur village isolé du Kosovo où les chrétiens sont un îlot perdu au sein d’un océan musulman.
La scène de Jésus crucifié peinte sur un des murs de l’église veille sur des bancs remplis de fidèles, dont la plupart sont des fermiers aux visages burinés par le soleil durant de dures journées de travail aux champs.
«Aujourd’hui nous chantons bien fort, nous ne devons plus rester dans l’obscurité. Les jours horribles sont passés et la joie nous illumine», chante une nonne en langue albanaise.
La scène, qui semble ordinaire, est pourtant loin de l’être.
L’église a été construite en 2008, l’année où Beg Bytyqi, 65 ans, s’est officiellement et ouvertement reconverti de l’islam au catholicisme.
M. Bytyqi a été l’un des premiers villageois à revenir à ses racines, à l’ancienne religion de ce village dans le centre du Kosovo, qui pendant des siècles a prié en secret, alors qu’en public, ses habitants se déclaraient musulmans. «J’ai hérité de la religion de mon père comme il en a hérité du sien. Tant que je peux me souvenir, j’ai toujours fêté Noël et Pâques en cachette, en pratiquant des cérémonies à la maison», explique-t-il.
Seuls quelque 50.000 des 1,7 million de citoyens du Kosovo sont catholiques, alors que plus de 90% de la population est musulmane.
Une quarantaine d’habitants de ce village d’une centaine de familles se sont convertis depuis 2008 «à la religion de leurs ancêtres», attirant l’attention sur le phénomène des crypto-catholiques, connus au Kosovo sous le nom de «Laramans», ce qui en albanais signifie pittoresque, à multiples facettes.
Ils ont renoncé à l’islam, imposé par les Ottomans après leur conquête des Balkans au XIVe siècle, pour redevenir catholiques.
Sous l’empire ottoman, de nombreux chrétiens s’étaient convertis à l’islam pour échapper à diverses pressions, dont des impôts particulièrement élevés frappant les chrétiens, et s’octroyer différents avantages sociaux. A l’époque, de nombreux monastères et églises ont été transformés en mosquées.
Au Kosovo, nombre des convertis ont changé leurs noms et participé aux rites islamiques, mais dans la clandestinité ils sont restés fidèles à la religion catholique, explique l’évêque kosovar, Shan Zefi.
M. Bytyci raconte qu’à Noël, sa famille «bénissait elle-même le pain, en y allumant des bougies et en attendant qu’elles brûlent complètement».
«Ensuite, nous brûlions la cire dans notre cheminée», ajoute-t-il.
Les croyants étaient «déchirés par cette double identité religieuse : en allant dans les mosquées le jour et en restant fidèles à l’église la nuit», assure Mgr Zefi.
«C’était un mode de survie. Ils ne pouvaient pas pratiquer leur religion publiquement, mais ils s’obstinaient à l’entretenir chez eux», estime Lush Gjergji, rédacteur en chef du mensuel catholique Drita (Lumière).
M. Bytyci explique qu’un étage de sa maison était «consacré aux rites et aux cérémonies chrétiens», alors qu’un autre servait aux coutumes musulmanes «lorsque nos voisins venaient nous rendre visite lors de fêtes islamiques».
«Les enfants étaient tenus à l’écart du secret. On craignait qu’ils pourraient le trahir par mégarde, et tout restait dans le cercle familial restreint», explique le journaliste Ismet Sopi.
Le village de M. Sopi, Llapushnik, dans le centre du Kosovo où vit la plupart des gens reconvertis au catholicisme, «est plein de toponymes chrétiens et de traces d’églises», note-t-il.
Jahja Drancolli, professeur d’histoire à l’Université de Pristina explique que les crypto-catholiques sortent de la clandestinité car ils ont désormais «la liberté qui leur manquait» avant la proclamation de l’indépendance du Kosovo en 2008.
«L’ambiance encourage actuellement l’expression de la diversité religieuse», souligne Mme Drancolli.
Selon les autorités religieuses, «des centaines d’Albanais» se sont fait baptiser depuis 2008. Cela semble avoir encouragé les Laramans à sortir de la clandestinité.
M. Sopi, 52 ans, qui a été baptisé en 2008, explique qu’il n’y a pas eu «de grands changements» dans sa vie et celle de sa famille. «Sauf que nous ne nous cachons plus».
L’église catholique du Kosovo a prudemment géré ce processus afin d’éviter de «créer des divisions et des conflits» entre musulmans et chrétiens parmi les Albanais kosovars, explique Marjan Ukaj, chargé des conversions au sien de l’Eglise.
«Beaucoup attendent d’être baptisés, mais personne ne l’est sans une préparation qui dure au moins un an», fait-il valoir.
Pour l’instant, ces «nouveaux chrétiens» ne gênent pas les musulmans.
«Les gens ont le droit (...), de choisir entre Mahomet et Jésus, entre le Coran et la Bible, comme les deux sont des livres saints», souligne Filloreta Bytyqi du village Kravaseri.
Resul Rexhepu de la Communauté islamique est confiant que ces conversions ne «changeront pas l’équilibre» entre les confessions au Kosovo, les musulmans étant «absolument dominants».
Beg Bytyqi, lui, a retrouvé «la paix intérieure» après 61 ans passés comme musulman en public, et seulement quatre comme chrétien.
«J’ai payé ma dette. Mais je n’impose pas ma religion à mes enfants, cela dépendra d’eux», explique-t-il en buvant à petites gorgées son verre de raki (eau de vie faite maison) après la messe du dimanche, tout en regardant d’un air satisfait ses vignes couvrant les collines et la vallée.
«Nous produirons beaucoup de bon raki cette année», dit-il.
Assis à ses côtés, son fils Agim, 39 ans, dit comprendre la décision de son père, mais affirme n’avoir pas encore décidé quant à son propre avenir religieux. Pour l’instant, «je vais à la fois à l’église et à la mosquée, car les deux sont les maisons de Dieu». AFP Source
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