Un pays made in america
Ceux qui comprennent l’anglais onctueux et phraséologique prendront connaissance de ce récent discours du président Obama qui déclenche ma réflexion du moment. Cela porte sur cette tuerie “cinématographique” d’Aurora (Colorado) où, comme d’habitude, on ne nous signale ni l’origine du flingue, ni celle des munitions et des explosifs, ni l’identité de l’armurier (pourtant aussi sciemment coupable que le tireur). Sur un ton qu’il n’adoptait jamais en 2008, celui du prêcheur hautain et faussement tranquille, le président nous pose le fait divers criminel du moment comme un mal absolu, insondable, impalpable, une fausseté indicible. On nie ouvertement et frontalement que l’Amérique soit cela. Aucune analyse sociétale de ce genre de criminalité-spectacle en augmentation ne nous est fournie. Obama nous avait pourtant –pour un temps– habitués à mieux. Pot de fleurs flexibles, comme ses prédécesseurs, il commence à vraiment bien plier sous le faix de sa civilisation. Et, ultime insulte à la vérité, il comble ce qu’il n’analyse pas et, de ce fait, n’avoue pas, par du préchi-précha sur le mal, les «humains» qui font «acte de terrorisme» les uns sur les autres, et ses angoisses paternes pour ses filles «qui elles aussi vont au cinéma» (sous bonne garde, dans leur cas, ce qu’il se prive bien de mentionner). Quand je dis que l’espace citoyen est sur-religionisé, en voici un exemple de plus, tiens. Il est patent ici que le flux irrationnel est un écran de fumée pour masquer cette vérité véreuse face à laquelle les petits pouvoirs en place sont impuissants. Toute la vision sociopolitique que l’Amérique a d’elle-même se canalise dans cette intervention présidentielle sidéralement creuse. Et pourtant, la brèche ouverte il y a peu par Obama lui-même prouve (encore un peu) que ce caramel mensonger systémique ne va pas durer.
Un beau jour, les américains cesseront de se comporter comme s’ils vivaient sous une théocratie implicite leur allouant tacitement et comme magiquement ce monopole moral parfaitement usurpé dont ils se croient tant les dépositaires exclusifs. Seulement alors comprendront-ils vraiment la politique et corollairement l’impact terrible et tangible de leur pays sur les multiples vallées de larmes bien réelles de ce susdit vaste monde mystifié. Sauf que, pour le moment, la politique intérieure et la politique étrangère américaines sont, de concert, un angélisme meurtrier et un manichéisme infantile. Car ce qu’ils fantasment “pour” eux-mêmes, ils le fantasment aussi “contre” le reste du monde. Dans leur ignorance complète du terrain, ils font l’erreur impardonnable de croire à leur propre propagande de pasteurs pour alcooliques en sursis. Donner les commandes du monde à des ignares ethnocentristes de ce baril, c’est encore toujours bel et bien lui, le grand danger géopolitique de l’heure. Mais cela commence à flancher sérieusement. Toute la crise de la conscience “intérieure” américaine est synthétisée sur le théâtre des pays que les USA occupent. C’est que même le petit peuple bon teint est fortement indisposé par le flafla des folliculaires propagandistes des oligarches US. La morale cucul ricaine n’est somme toute pas très impressionnée par le mensonge, le tripotage et les combines. Or là, en plus, sur cette sempiternelle question-ritournelle des armes à feu, c’est meurtrier, sordide et les nouveaux théolâtres mentent en pleine face de leurs petits commettants. Tous les mensonges, toutes les magouilles de l’administration américaine palpitent dans la blessure belliciste comme une migraine longue et lancinante. Tout le paradoxe moral de ces gogos qui veulent contrôler les chambres à coucher s’étale sous le nez des petits saints besogneux qui leur faisaient jadis tant confiance. Ça ne marche plus, ne vend plus, ne colle plus. Il y a une saturation. Le monopole de la sainteté est fissuré comme une vieille outre gangrenée. Bon an mal an, Obama fait déjà ouvertement fracture, en ceci. Et les gamins qui vont jouer du flingue au ciné parachèvent douloureusement la prise de conscience estomaquée qui se vrille, sans oublier de laisser force machines infernales en chausse-trappes dans leurs appartes, en prévision de la visite d’autorités militaro-constabulaires dont ils bousillent, ouvertement et en toute sociopathie sereine et méthodique, le système de valeur implicitement ou explicitement neuneu-patriotard… Bon, euh… est-ce si évident, que c’est “nous”, les bonnes gens dans toute cette histoire ?
D’ailleurs, qui plus est, pour filer la catastrophe, on n’en peut plus justement que les américains tendent à fusionner théocratisme et patriotisme. Ils ont Dieu de leur bord, comme le disais autrefois Bob Dylan. La question devrait donc être: les américains sont-ils prêts pour un nouveau regard critique face au patriotisme? Les américains sont-ils prêts pour (et conséquemment méritent-ils enfin) une vision sociopolitique du monde qui remplace la docilité cocardière vidée de son idéal par une analyse relativiste et lucide de la place de l’Amérique dans le monde? Les américains sont-ils capables d’accéder à la distinction entre patriotisme et impérialisme que cherche à insuffler la réflexion politique actuelle dans leur conscience? La caricature patriotarde et la hideur de ses marionnettistes accède-t-elle enfin à la conscience des américains de par le nouvel ordre du monde? Sont-ils mûrs pour ce rendez-vous autocritique auquel les aurait par exemple convié le Barack Obama de 2008 (similaire mutadis mutandis à celui auquel Gorbachev avait convoqué les soviétiques circa 1985-1990) s’il n’avait pas, lui aussi, fini par flancher sur sa droite et bel et bien se pendre avec le ruban jaune? Le New Deal patriotique du ci devant monde multilatéral est-il en selle? Au matin d’un éventuel second mandat, Obama, désormais hautement plastronneur et soporifique, est-il encore assez visionnaire pour réformer le patriotisme américain et leur faire piger qu’aimer son pays c’est voir au bien être de ses citoyens, pas à la promotion de ses détrousseurs meurtriers enveloppés dans le fanion et enrobés dans la tartuffade patriote de droit divin? Tous les indicateurs le montrent: l’Amérique est un empire en déclin. Et, personnellement, Je suis 100% pour ce “déclin”. Londres est une ville bien plus agréable depuis qu’elle n’est plus la capitale d’un empire. Le déclin de l’empire ce n’est pas le déclin de l’Amérique, seulement d’une meute d’oligarches qui se sert de la société civile comme d’un paravent en dilapidant les ressources dans des guerres pharaoniques et ineptes. Quand l’empire est devenu nuisible pour tous, incluant les impériaux, c’est qu’il est plus que temps que tout ça vire de bord.
La théocratie implicite américaine, ça suffit. Ça va faire. Ça ira. Basta. Y en a marre. Écoeurement. Saturation. Surdose. Dans une république laïque, les décisions politiques des dirigeants sont indépendantes et séparées de leurs représentations religieuses privées. Quand Léonid Brejnev consultait des astrologues, tout le monde se payait sa poire et à raison. J’en pense autant de nos dirigeants qui niaisent à la messe, à la mosquée, à la synagogue, au temple, quel qu’il soit. Je n’ai absolument aucun respect pour quoi que ce soit qui sorte de ce tonneau là et le fait que qui que ce soit, personnage public ou personne privée, doive laisser chuinter sa religion, notamment en bénifiant/sanctifiant les troupes impériales comme on présente patte blanche, me parait aussi fallacieux et hors sujet que s’il devait déclarer la marque de sauce tomate qu’il met sur ses nouilles les soirs pluvieux. Cessez de nous cacasser de nous aimer les uns les autres au premier coup fourré sociétal faussement fatal, de prier niaiseusement pour les enfants cinéphiles d’Aurora (Colorado), et mettez vous au plus vite à mettre les flingues à la casse une bonne fois, bondance de la vie. par Paul Laurendeau Source
http://www.centpapiers.com/la-theocratie-implicite-americaine-mais-ca-suffit%e2%80%a6/102424
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