A Durban, le melting-pot des religions cultive la coexistence
Sur les pas de Nelson Mandela. Dix-huit ans après les premières élections multiraciales, «La Croix» revient en Afrique du Sud. Aujourd’hui, escale à Durban, creuset de la mixité religieuse.
Ela Gandhi reçoit dans son appartement haut perché sur la colline de Glenwood, un quartier sur les hauteurs de Durban avec vue panoramique sur toute la ville. Accroché sur un mur du salon, le portrait de son grand-père, Mohandas Gandhi.
Débarqué là en 1893 et confronté à la discrimination, le jeune avocat avait élaboré la satyagraha, sa philosophie de résistance passive et de désobéissance civile non-violente, avant de fonder l’ashram de Phoenix en 1904, à Inanda, dans les faubourgs de la cité.
«Cet enseignement a inspiré toute ma vie, affirme Ela Gandhi, 72 ans, une fidèle de l’ANC, députée au Parlement sud-africain pendant dix ans, de 1994 à 2004. En passant plus de vingt ans de sa vie en Afrique du Sud, Mahatma Gandhi a permis aux Indiens de se délivrer du sentiment d’infériorité dans lequel les avait enfermés le racisme des Blancs.»
Ela Gandhi a grandi à Inanda où son père, le second fils du Mahatma, dirigeait Indian Opinion, un hebdomadaire de langue anglaise. Travailleuse sociale et militante, Ela Gandhi s’est vite retrouvée au cœur de la lutte non-violente contre l’apartheid.
«Dans les années 1980, le mouvement de libération a rassemblé des gens de toutes les communautés et de toutes les religions : noirs, métis, indiens et blancs, chrétiens, hindous, musulmans et juifs, poursuit l’ancienne chancelière de l’université de technologie de Durban. Plus de 700 organisations anti-apartheid s’étaient regroupées sous la bannière de l’United Democratic Front (UDF), le forum créé par l’évêque anglican Desmond Tutu. Le combat contre l’apartheid a toujours été intégré à la religion.»
Ela Gandhi en a payé le prix. Neuf années de résidence surveillée, de 1975 à 1983. Un fils assassiné en 1993 dans des circonstances jamais totalement élucidées. Engagée de longue date dans le dialogue interreligieux, Ela Gandhi a récemment soumis une proposition à la commission chargée de revoir la liste des jours fériés, pour y inclure éventuellement d’autres fêtes religieuses que le Vendredi saint et le jour de Noël.
« l y a, dit-elle, une grande différence entre la tolérance et le respect. J’ai proposé d’ajouter quatre fêtes chômées : le lundi de Pâques, très important pour les religions africaines traditionnelles comme pour les chrétiens, l’Aïd, la fête du sacrifice des musulmans, Roch Achana, le Nouvel An juif, et Diwali, la fête de la lumière des hindouistes. Ce serait l’occasion de mieux connaître la religion des autres. Les valeurs essentielles sont très similaires même s’il y a des extrémistes dans toutes les communautés. Pour moi, l’Afrique du Sud est le pays capable de démontrer qu’il est possible de vivre pacifiquement cette diversité. C’est notre responsabilité envers le monde. Si nous pouvons le faire, le monde le peut aussi.»
À Durban, troisième ville du pays, 3,5 millions d’habitants vivent au bord d’une vaste baie ouverte sur la torpeur humide de l’océan Indien. Dès 1855, les Anglais avaient fait venir des milliers d’Indiens pour travailler dans les plantations de canne à sucre du Natal. Prospère et active, la diaspora indienne représente aujourd’hui environ 20 % de la population, en majorité hindouiste avec une forte minorité de musulmans.
En 1880, l’un de ceux-ci, le commerçant Aboobaker Amod Jhaveri, achète un terrain dans le centre-ville pour y construire ensuite ce qui deviendra en 1916 la mosquée Juma Musjid, la plus ancienne mosquée de l’hémisphère Sud. À la même époque, Mgr Charles Jolivet, missionnaire français, pose, en janvier 1903, de l’autre côté de la même rue, la première pierre de ce qui est aujourd’hui la cathédrale catholique Emmanuel.
Un siècle et neuf ans plus tard, le clocher en brique de la cathédrale et les deux minarets de la mosquée dominent toujours le centre historique de Durban, à deux pas de la bibliothèque Gandhi ouverte en 1921, et la coexistence pacifique de ces deux lieux de culte emblématiques ne s’est jamais démentie.
Au fil des générations, la mosquée et la cathédrale ont évolué en même temps que la démographie cosmopolite installée à leurs portes. En bordure de la Warwick Junction, le grand carrefour routier et ferroviaire de Durban, le vieux quartier commerçant est devenu un espace de transit quotidien pour des milliers de citadins.
«Nous vivons côte à côte en partageant la même philosophie de l’amour du prochain», assure le P. Stephen Tully, curé de la cathédrale fréquentée par de nombreux réfugiés et immigrés africains venus du Congo et du Burundi. Fondée par des musulmans soufis venus du sous-continent indien, la mosquée est aujourd’hui fréquentée par un grand nombre de pratiquants déobandis, le courant conservateur dominant dans l’islam sunnite indo-pakistanais.
«À ses débuts, la mosquée était fréquentée par des Indiens, explique Ahmed Vally Mohamed, son chief trustee (administrateur). Aujourd’hui, la majorité des 3 500 fidèles qui fréquentent la prière du vendredi sont des immigrés récents, avec un statut de résidents ou de réfugiés, venus de pays aussi différents que l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, le Malawi, le Nigeria ou le Sénégal.»
Porté par l’immigration, le salafisme s’est implanté sur une scène musulmane sud-africaine de plus en plus travaillée par la tension entre «modernistes» et «conservateurs». «L’islam interdit de critiquer celui qui appartient à une autre race, religion ou culture, insiste Ahmed Vally Mohamed. La communauté musulmane compte une petite minorité de fondamentalistes, mais nous ne leur permettrons pas de venir ici dénigrer les fidèles des autres religions. Chrétiens, hindous ou juifs, ce sont mes frères. Nous sommes tous égaux, quelle que soit notre couleur de peau, notre langue ou notre culture.»
Reconnues comme des acteurs sociaux essentiels, les communautés religieuses coopèrent pour apporter des solutions aux problèmes du pays, en particulier dans le domaine de l’éducation, de la santé et du développement. Durban abrite le siège de deux organisations interreligieuses : la World Conference of Religions for Peace-South Africa et le Centre international pour la non-violence (Icon).
«Les gens sont très tolérants dans le domaine de la religion. L’objectif n’est pas le mélange mais la coexistence, précise Fraser Mtshali, journaliste à l’hebdomadaire UmAfrika. On vit les uns à côté des autres sans se soucier de ce que fait le voisin à l’intérieur de sa propre communauté.»
En 2008, la flambée de violence contre les migrants africains a brutalement révélé la fragilité du modèle. 500 déplacés ont trouvé refuge dans le centre paroissial de la cathédrale, tandis que la communauté musulmane fournissait repas et couvertures.
«Les poussées xénophobes sont un révélateur des maux de notre société. Cette crise a renforcé nos liens en nous incitant à agir ensemble pour améliorer la vie de tous, déclare Ahmed Vally Mohamed. Si nous nous focalisons sur nos différences, nous serons toujours divisés. Seule notre humanité nous rassemblera. par François d'Alançon Source
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