"Far west au Vatican"
Il est celui par qui le scandale arrive, celui qui dévoile les secrets du Saint-Siège, ses coups bas et ses compromissions. Le journaliste Gianluigi Nuzzi s’explique.
Les vaticanistes le surnomment "la boîte aux lettres des monseigneurs et des cardinaux mécontents". Un député italien réclame son arrestation. Le Vatican a qualifié d’"acte criminel" la publication de son livre Sua Santità, le carte segrete di Benedetto XVI (éd. Chiarelettere), qui devrait prochainement sortir en France… Quatre jours après la publication de l’ouvrage, Paolo Gabriele, le majordome de Benoît XVI, soupçonné d’être l’informateur, était arrêté en possession de documents ultraconfidentiels. Gianluigi Nuzzi, 43 ans, journaliste indépendant, est aujourd’hui au coeur de ce que le porte-parole du pape appelle le VatiLeaks. Il accorde au JDD sa première interview à un journal français.
Vous publiez des correspondances portant la signature du pape et de ses plus proches collaborateurs. Comment ces documents vous sont-ils parvenus ?
Après la publication de mon premier livre, Vatican S.A., en 2009, où j’avais eu accès à des archives de la banque du Vatican, l’IOR (l’Institut pour les oeuvres de religion), j’ai été approché par des personnes qui vivent au Vatican. Il s’agit d’un groupe qui a un rapport très fort avec la foi, allergique au secret. Ils pensent que pour aider l’Église il faut jouer la transparence absolue. Ils sont bien décidés à chasser les marchands du temple. Ils ne sont pas motivés par l’argent, je ne leur ai pas payé mes infos. L’un d’eux m’a confié faire partie d’un réseau d’une vingtaine de personnes. «Mes sources ne sont pas motivées par l'argent, je ne leur ai pas payé mes infos.» Parmi eux figurerait donc Paolo Gabriele, le majordome de Benoît XVI arrêté la semaine dernière…
Je ne peux pas vous dire si je connais ce Paolo. On parle de VatiLeaks, mais ce n’est tout de même pas comme WikiLeaks. Paolo Gabriele n’est pas le Julian Assange du Vatican, il ne met pas en péril la sûreté nationale! Mon livre gêne le Saint-Siège parce que c’est la première fois que des documents signés de la main du pape, ou qui portent son sceau, sortent du palais ; parce qu’il met en lumière l’atmosphère délétère qui règne au Vatican.
Quand et comment a vraiment démarré ce VatiLeaks ?
Le 25 janvier, dans mon émission Les Intouchables, sur la chaîne 7, nous avons révélé en direct le contenu des lettres de Mgr Vigano [chargé de la gestion du patrimoine du Vatican] adressées au pape, où il parle de malversations et de dépenses inconsidérées. Il avait découvert par exemple que, pour la crèche de Noël de la place Saint-Pierre, le Vatican débourse 550.000 euros par an! Vigano s’y plaint aussi de sa mutation forcée à Washington, en novembre 2011, où il a été nommé nonce apostolique. Il écrit au pape avoir été victime d’un complot pour l’éloigner du Vatican et critique vivement Tarcisio Bertone, le secrétaire d’État, numéro2 du Saint- Siège. Il supplie Benoît XVI d’intervenir afin de mettre de l’ordre dans l’exécutif.
Pourquoi ciblez-vous le Vatican ? Vous êtes antipapiste ?
Non, je suis chrétien et je respecte Benoît XVI. Je ne fais pas des livres contre l’Église ni contre les fidèles. Ce qui m’intéresse, c’est de dévoiler les coulisses des différentes crises que le pape a traversées, comme celle de la gestion de l’excommunication du négationniste Richard Williamson, ou encore l’affaire des Légionnaires du Christ, dont le fondateur, le père Marcial Maciel, a été accusé de nombreux abus sexuels sur des mineurs de 1940 à 1960 au Mexique.
Qu’apportez-vous de nouveau sur l’affaire Maciel ?
Je publie une note en allemand et en italien datant d’octobre 2011 du secrétaire particulier du pape, Mgr Georg Gänswein. Il s’agit du résumé d’un rendez-vous entre Gänswein et le père Rafael Moreno, qui a été pendant dix-huit ans le secrétaire particulier de Maciel. Moreno affirme être venu en 2003 au Vatican pour alerter sur les agissements de Maciel, et que personne n’avait voulu l’écouter. Le cardinal Sodano, le numérodeux du Vatican sous Jean-Paul II, n’avait pas souhaité le recevoir. Cela prouve que Maciel avait des protections en haut lieu et que le Vatican était au courant au moins trois ans avant que le scandale ne soit enfin révélé. «Mon livre met en lumière l'atmosphère délétère qui règne au Vatican.» Ces documents jettent une lumière crue sur les liens entre l’État italien et le Vatican…
Il y a par exemple des documents diplomatiques qui rendent compte de rencontres entre l’ancien ministre de l’Économie Giulio Tremonti et Ettore Gotti Tedeschi, le président de l’IOR limogé la semaine dernière. Il s’agit alors d’éviter que le Vatican paie un impôt sur les arriérés de l’ICI, la taxe locale sur les immeubles. Je pense qu’une telle information intéresse les contribuables italiens.
Peut-on dire aujourd’hui que le Vatican est un paradis fiscal ?
La route est longue pour que l’IOR soit une banque qui réponde aux critères européens de transparence. Gotti Tedeschi avait pour mission de faire entrer le Vatican dans la "white list" des pays respectant les normes contre le blanchiment d’argent. Ce n’est pas officiel, mais le Vatican ne rentrera vraisemblablement pas dans cette liste en juillet. En 2010, la justice italienne avait découvert que la banque du Vatican gérait des comptes auprès d’établissements italiens sans nom de titulaire. Des sujets ayant une résidence fiscale en Italie utilisaient l’IOR comme "paravent" pour cacher des délits de fraude ou d’évasion fiscales… On ne sait toujours pas pourquoi Gotti Tedeschi, partisan de la transparence, a été renvoyé, mais il était en guerre avec Bertone, le secrétaire d’État, partisan de l’opacité. Gotti Tedeschi a vraiment essayé d’obéir au pape pour faire le nettoyage au sein de l’IOR. Il a échoué parce qu’on l’en a empêché.
Le VatiLeaks a-t-il pour but d’avoir la peau de Tarcisio Bertone ?
Le Vatican est le lieu d’une lutte de pouvoir où tout est permis. Bertone a réussi à unir contre lui toutes les factions des cardinaux, toutes les conférences épiscopales… C’est l’équivalent de Berlusconi dans sa dernière période. Tant que Benoît XVI maintient Bertone au poste de numéro deux du Saint-Siège, le Vatican restera le far west. Pour moi, la question n’est plus de savoir s’il va démissionner, mais quand il va partir.
Le Vatican a-t-il des liens avec la mafia ?
Salut nazi des prêtres catholiques |
Dans les années 1970 et 1980, de grosses sommes d’argent de Cosa Nostra ont été blanchies par l’IOR. Souvenez-vous du mystérieux assassinat en 1982 de Roberto Calvi, le président de la banque Ambrosiano, qui connaissait tous les rouages du recyclage de l’argent mafieux à travers la banque Ambrosiano et l’IOR. Dans les années 1990, l’IOR avait créé un réseau de comptes affectés à des fondations fictives qui cachaient des noms d’entrepreneurs, de promoteurs immobiliers et de mafieux. La mafia s’en servait comme une officine de recyclage pour ses affaires industrielles et politiques. On a même appris que l’IOR a trempé dans le plus grand pot-devin de l’histoire de l’Italie, celui du groupe pétrolier Enimonte. C’est ce que raconte mon premier livre, Vatican S.A. Peu après sa sortie en 2009, Angelo Caloia, le président de l’IOR, a démissionné après vingt ans à ce poste…
Le Saint-Siège est-il à l’abri de la crise ?
Non. Plusieurs documents traduisent les préoccupations de la hiérarchie du Saint- Siège. Gotti Tedeschi écrit au secrétaire particulier du pape, Georg Gänswein, pour dire que la nouvelle donne mondiale risque d’avoir des répercussions sur les dons faits à l’Église. Le Vatican s’inquiète de voir les pays occidentaux, qui par tradition se montrent les plus généreux envers l’Église, s’appauvrir à cause de la crise. Le Saint-Siège craint par ailleurs que la Chine, future première puissance mondiale, exporte l’athéisme et le diffuse. C’est cela qui fait trembler les "palais sacrés". par Adeline Fleury Source
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