Les Salafistes sont-ils manipulés ?
S’il est vrai que les salafistes tunisiens ont gagné en visibilité depuis le triomphe électoral du parti islamiste d’Ennahdha aux élections du 23 octobre dernier, il n’en demeure pas moins qu’ils ont fait monter les tensions de plusieurs crans ces dernières semaines.
La dernière action spectaculaire en date de ces partisans d’un Islam rigoriste a été la tentative de limogeage par la force, vendredi après-midi, d’un Imam en exercice dans la mosquée de la petite ville de Dahmani (Gouvernorat du Kef). Ce coup de force des salafistes a provoqué des affrontements entre les quelques dizaines de salafistes présumés et les habitants de la ville.
Selon des témoins oculaires cités par l’agence TAP, les citoyens de la ville ont utilisé des bâtons et des gourdins, pour faire face à ces groupes dont certains sont venus des villes voisines de Jendouba et de Rouhia. Les fondamentalistes religieux brandissaient, quant à eux, des sabres et des armes blanches, selon les témoins. Les affrontements ont fait des blessés dans les rangs des salafistes et causé des dégâts à leurs voitures. Une source sécuritaire du Kef a expliqué que «les citoyens ont empêché des groupes salafistes d’entrer dans la mosquée de la ville et d’installer un nouvel imam, ce qui a conduit aux affrontements sanglants».
Cette attaque constitue un nouvel épisode dans le feuilleton de l’activisme salafiste violent qui se poursuit depuis quelques semaines. Le week-end dernier à Jendouba, des salafistes s’en sont pris à des postes de police et ont attaqué des bars dans plusieurs localités de la ville de Jendouba. Armés de bâtons ou de sabres, criant Allahou Akbar (Dieu est grand), ces barbus», comptaient dans leurs rangs de nombreux jeunes désœuvrés ou voyous recrutés pour «casser», selon des sources sécuritaires. L’attaque salafiste contre des débits d’alcool et des bars est la deuxième en son genre au cours des deux dernières semaines. Le 20 mai, des salafistes avaient intimé aux propriétaires de points de vente d’alcool de fermer, avant d’incendier des bars.
Mouvance comparable à une auberge espagnole
Le 24 mai, les fondamentalismes religieux ont molesté des journalistes qui étaient en train de réaliser des reportages sur l’incendie ayant ravagé le souk Moncef Bey à Tunis, au vu et au su des policiers qui n’ont pas bougé le petit doigt, selon le témoignage de Tatiana Messaâd, la correspondante de France 24 victime de violences, tout comme les reporters la chaîne Al-Hiwar qu’elle accompagnait.
Le 26 mai, le professeur de théâtre Rejeb Magri a été sauvagement tabassé par des barbus. Admis dans une clinique de Tunis dans un état grave, cet artiste très engagé dans la résistance culturelle souffre notamment d’un traumatisme crânien et d’une fracture de la clavicule. Et la liste est encore longue…
Partagée entre les piétistes, qui ne se mêlent pas de politique, les politiques et les jihadistes, pour qui la violence est légitime pour imposer la religion, la mouvance salafiste reste assez obscure. Certains chercheurs et hommes politiques comparent cette mouvance à une véritable auberge espagnole. « Il s’agit souvent de petits groupes qui se réclament de la pensée salafiste mais qui ne sont pas généralement unis par des liens organisationnels. Malgré les tentatives de regroupements comme en atteste la création de l’Association Ansar Al-Chariâa ou de certains partis salafistes, de nombreux groupes se présentant comme étant salafistes échappent à tout encadrement et sont, de ce fait, facilement manipulables », estime Alaya Allani est professeur d’histoire contemporaine à la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba.
Ce chercheur et spécialiste des mouvements islamistes dans les pays du Maghreb précise que les dernières violences salafistes peuvent être le fait d’une «instrumentalisation» de ces groupes par les forces de l’ancien régime «qui les avaient infiltrés».
Instrumentalisés par des parties étrangères ?
Vincent Geisser, politologue et chercheur à l’Institut français du Proche Orient de Beyrouth, co-auteur avec Michaël Ayari de l’ouvrage «Renaissances arabes: 7 questions clés sur les révolutions en marche» estime, quant à lui, qu’une partie des salafistes tunisiens est une marionnette aux mains de certains pays étrangers. «Ces groupes salafistes bénéficient d’aides secrètes de certains milieux du Golfe dont le rêve est de casser la petite démocratie tunisienne. Les pétromonarchies redoutent par-dessus tout la démocratisation de la Tunisie qui pourrait constituer un extraordinaire modèle de liberté pour l’ensemble du monde arabe», souligne-t-il. Même son de cloche du côté du parti islamiste radical Hizb Ettahrir. «Des groupes salafistes non encadrés sont manipulés par des parties étrangères qui cherchent à créer une situation servant leur agenda en Tunisie», affirme Ridha Belhadj, porte-parole de ce parti qui prône l’instauration du califat islamique et rejette ouvertement la démocratie, sans plus de précision. Bien que ses dirigeants aient participé au rassemblement annuel du mouvement salafiste djihadiste Ansar Al-Chariaâ tenu le 20 mai dernier à Kairouan, Hezb Ettahrir refuse le qualificatif de parti salafiste.
Ancien avocat de nombreux jeunes jugés dans le cadre de la loi anti-terroriste sous le règne de Ben Ali Abderraouf Ayadi, pense, pour sa part, que «les salafistes sont à la fois manipulés par des parties locales et étrangères qui cherchent à pousser l’actuel gouvernement vers un affrontement avec les franges radicales de la mouvance salafiste afin de justifier la réinstauration d’un régime policier ou la prise du pouvoir par l’armée».
Chef de file des dissidents du Congrès pour la République (CPR), parti allié au mouvement Ennahdha, Me Ayadi appelle les salafistes à être très vigilants pour déjouer ce «plan diabolique» et à s’organiser dans le cadre de partis politiques. par Walid KHEFIFI Source
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