L'affaire du VatiLeaks
Par Bernard Lecomte, écrivain et auteur d'ouvrages sur le Vatican LE PLUS. Au Vatican, rien ne va plus. L'arrestation du majordome du pape Benoît XVI, soupçonné d'avoir divulgué des documents confidentiels à la presse, provoque un scandale. Mais alors pourquoi le Saint-Siège est-il depuis toujours objet de mystères et de convoitises ? Bernard Lecomte, auteur de "Les secrets du Vatican" (2009) et "Les derniers secrets du Vatican" (2012), nous donne les clés de ce fantasme papal.
Vatileaks : l'arrestation de Paolo Gabriele agite le pape Benoît XVI et l'ensemble du Vatican.
Il s'agit là d'une crise originale car le Vatican ne nous a pas habitués à ce genre de chose. L’image qui ressort de ce scandale ne colle pas avec celle que l’on se fait de ce petit État pas comme les autres.
Cette histoire s’apparente aux crises qui frappent, à l’heure de la mondialisation et du numérique, toutes les institutions modernes. Aux États-Unis, il y a eu Wikileaks, au Vatican, ils ont Vatileaks.
Toutes les institutions ont besoin du secret. C’est dans leur nature. Vous pensez que François Hollande aurait pu composer son gouvernement en toute transparence, avant l’annonce officielle ? Non, les secrets sont nécessaires.
Le problème, c’est qu’il y a toujours des fuites. Il suffit d’une personne, d’un Paolo Gabriele au Vatican, d’un Jérôme Kerviel à la Société Générale, d’un homme exalté, un "justicier masqué" qui, face à autant d’informations, pense qu’en quelques clics, au nom d’un idéal quelconque, il changera la face du monde.
Un scandale spectaculaire
Autant ce scandale est peu étonnant, autant il est très spectaculaire. Le Vatican est un micro-État qui ne concentre que 2.000 personnes, qui n’est qu’un mini territoire de 44 hectares, qui n’est pas une démocratie, qui est de surcroît d’essence religieuse, mais qui est aussi l’institution la plus vieille du monde.
Le pape, depuis le pontificat de Jean-Paul II, confie plus de 90% de ses pouvoirs au Secrétaire d'État. En cas de scandale, c'est forcément celui-ci qui est dans l’œil du cyclone, et c'est le cas aujourd'hui : beaucoup de gens veulent déstabiliser Tarcisio Bertone et si possible le remplacer. Ce sont des jeux d’influence conduits par des congrégations, des mouvements, des réseaux qui ont intérêt à voir le Vatican adopter telle ou telle forme de gouvernance.
Benoît XVI a 85 ans, et les enjeux de succession se profilent forcément. Mais attention, il ne faut pas confondre le Vatican et l’UMP : il n’y a pas de course au pouvoir opposant tel ou tel homme ambitieux. C’est au niveau des entourages, des groupes, des familles romaines, des ordres religieux que se situe l’enjeu. Des organisations comme l’Opus Dei, les Jésuites, San Egidio ou les Dominicains souhaitent se positionner par rapport au futur pape, augmenter leur influence… etc. Cela a toujours été ainsi.
Benoît XVI, lui-même, a d’autres chats à fouetter que ces manipulations subalternes : le 50e anniversaire du concile Vatican II, la ré-évangélisation de l’Europe, l’annonce de l’Année de la foi, les voyages (après Cuba et le Mexique, il va aller au Liban). Le métier de pape est un métier surhumain. En tant que représentant d’une communauté de 1,2 milliard de fidèles, il a une responsabilité spirituelle énorme. Croyez-moi, ils ne sont pas nombreux à rêver de prendre un tel poste !
L’exigence de transparence
Aujourd’hui, même au Vatican, la transparence numérique s’impose. Les nouvelles règles du jeu s’appellent Facebook, Twitter, les copiés-collés que l’on s’envoie d’un seul clic. Tout doit apparaître. Notamment en matière de transactions financières : en 2010, Benoît XVI, homme légaliste et rigoriste, a déclaré qu’il voulait assurer la transparence des tous les mouvements de capitaux. Après 2000 ans de discrétion, cela a été vécu, dans certains couloirs du Vatican, comme un tremblement de terre.
Quand il s’agit d’argent, l’Église reste peu loquace, même si elle gère des sommes astronomiques. La Banque du Vatican doit gérer les legs, les dons, et les héritages, ce qui oblige à la discrétion ; en aval, par exemple en cas d’affectation d’une grosse somme d’argent à un diocèse africain, la discrétion est aussi de rigueur.
Or aujourd’hui, le Vatican ne peut plus fonctionner comme ça. C’est impossible ! Le risque de manipulations, de convoitises, de scandales comme l’Église en a régulièrement connus – pensez à l’affaire Marcinkus – conforte l’autre risque, celui d’être qualifié d’ "État voyou" ou de "paradis fiscal" est trop grand. Il faut de la transparence, c’est ainsi.
Mais en quelques mois ou même quelques années, c’est quasi impossible. La plus vieille institution du monde ne se pilote pas comme un vélo solex. Il y a évidemment mille et une résistances à vaincre, parfois farouches. Nombreux sont ceux qui ne veulent pas que les règles changent. C’est ce qui explique l’échec du banquier Ettore Tedeschi, qui est tout sauf un escroc !
Secrets, mystères et fantasmes
Les "secrets" du Vatican sont les mêmes, au fond, que ceux que l’on observe au Kremlin, à la Maison Blanche ou à l’Élysée. Ici, en sus, ils sont mi-politiques, mi-religieux : ils ont toujours une logique, bien sûr, mais ils touchent aussi à l’irrationnel, voire à l’ésotérisme, et pourquoi pas à l’occultisme, ce qui fait fantasmer un large public.
Parce que c’est l’Église, le moindre fait-divers romain provoque un nouveau "Da Vinci Code". Depuis 3 jours, les journaux italiens alimentent les rumeurs et les fantasmes les plus fous. Il y a des pages et des pages qui sont consacrées à l’affaire, pas toujours frappées au coin de l’exactitude historique !
Au Vatican, il y a - et il y aura toujours - de belles histoires. Le lieu a ce côté exceptionnel, puisqu’il associe pouvoir et religion pour le plus grands bonheur des scénaristes, des écrivains et journalistes : la papesse Jeanne, les Borgia ou le secret de Fátima sont des exemples – parmi bien d’autres, croyez-moi – qui illustrent cet aspect mythique et fantasmagorique.
Si Dan Brown a vendu son "Da Vinci Code" à 40 millions d’exemplaires, c’est bien la preuve que le Vatican fait fantasmer. Il y a 10 ans que je travaille sur ces sujets – mais comme journaliste d’investigation, moi je suis le contraire d’un Dan Brown ! – et je peux vous assurer qu’on trouve toujours à raconter des choses extraordinaires.
Un autre pentagramme |
Ainsi les fouilles autour du tombeau de saint Pierre peuvent rapidement se transformer en un vrai roman policier, un peu comme les pyramides d’Égypte. De même qu’un crime comme l’assassinat du chef des Gardes suisses, il y a quelques années, fait fantasmer autant que l’affaire Boulin ou le suicide de Bérégovoy !
Il y a à Rome cette dimension mystique, unique au monde, animée par la présence de nombreux personnages mystérieux, des majordomes, des prélats, des mafieux, des pédophiles, des banquiers, des cardinaux et des papes qui constituent tous les ingrédients nécessaires pour qu’on raconte toujours, au Vatican, des histoires extraordinaires. par Bernard Lecomte, recueillis par Louise Auvitu Source
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