Alain de Botton consacre son dernier livre à la religion
Après avoir réfléchi aux mystères de l’amour, aux consolations de la philosophie, à l’art du voyage... voilà que l’inclassable essayiste explore une autre voie pour faire notre bonheur : la religion, même si on est athée, comme coach de vie. Son nouveau remède spirituel et profane est un vrai cadeau pour l’esprit !
En Angleterre, le nouveau livre d’Alain de Botton est en passe de devenir son plus grand succès, alors que l’auteur de L’Art du voyage en connaît déjà beaucoup. Mais cette fois, à 42 ans, l’élégant et mordant philosophe s’engage dans une croisade pour le moins ambitieuse. Et si, propose-t-il dans son Petit Guide des religions à l’usage des mécréants (éditions Flammarion, 340 p., 20 euros) nos sociétés s’inspiraient des religions pour repartir dans le bon sens ? Explications.
Madame Figaro. - Vous vous déclarez résolument athée et pourtant admiratif des grandes religions : n’est-ce pas une position difficile à tenir ?
Alain de Botton, auteur du “Petit Guide des religions à l'usage des mécréants”. |
Alain de Botton. - Je pense qu’être athée ne veut pas dire détester la religion. On peut ne pas croire en Dieu et, en même temps, s’intéresser à l’histoire, la sociologie, la psychologie des religions. Après tout, ce sont des systèmes culturels évolués qui peuvent nous enseigner certaines choses essentielles que nous, modernes, avons oubliées. Mais voilà, aujourd’hui, l’idée dominante, c’est que si on est vraiment adulte, on ne croit pas : la religion, c’est pour les enfants ou pour ceux qui manquent de courage. En plus, on a tendance à penser que si jamais on commence à s’intéresser aux questions religieuses, on pourrait commencer à y croire progressivement, c’est donc dangereux ! Or moi je ne crois pas en Dieu et nombre d’aspects des religions me hérissent, à commencer par la subordination des femmes. Mais j’aime la messe de Noël à l’église : il y a la beauté architecturale du lieu, la musique splendide, l’atmosphère de liesse. La plupart des gens à qui j’explique cela comprennent spontanément de quoi il s’agit.
Quelle est cette chose essentielle que le monde moderne a oubliée ?
C’est notre vulnérabilité commune. Nous sommes tous un peu fous et un peu faibles, en proie à des pulsions émotives qui nous empêchent d’aller vers ce qu’on désire vraiment. Et j’aime que toutes les religions nous appellent des « enfants ». Ce n’est pas par malveillance : elles nous disent, à l’instar de la psychanalyse, qu’on peut être adulte et en même temps habité par l’enfant qu’on a été. Seulement, cette réalité a été gommée par l’idéologie moderne : aujourd’hui, on nous presse d’être forts, performants, autonomes. Nous laissant ainsi avec tout un tas de questions sans réponses sur notre évidente fragilité.
“Le monde culturel laïque est froid”
D’où votre proposition de réforme de l’enseignement ?
Oui, car la sagesse n’est plus enseignée. Les scientifiques savent qu’ils doivent apprendre des générations précédentes : on ne demande pas aux étudiants en chimie de redécouvrir tout à neuf. Mais quand il s’agit des grandes questions de sagesse, comment vivre, comment aimer, comment mourir, l’idée est, qu’en tant qu’adulte, chacun va trouver ses propres réponses. La société n’a pas à s’en mêler. Quand on y pense, c’est de la folie de nous laisser seuls face à des apprentissages aussi essentiels !
Ce n’est pas le cas de la religion...
Non, elle n’oublie pas que nous avons besoin d’aide pour avancer dans l’existence. Ses innombrables rites sont d’abord des mécanismes d’assistance spirituelle pour nous rappeler à ces vérités simples : la bienveillance, le pardon, le courage, que par paresse ou par angoisse nous avons tendance à oublier. Dans le monde laïque, il n’y a plus que la psychanalyse pour répondre à ce besoin. Mais cela ne concerne qu’une minorité plutôt privilégiée. Au contraire, la religion touche tout le monde, à chaque moment important de la vie : l’entrée dans l’âge adulte, le mariage, la naissance des enfants ou le deuil.
N’est-ce pas à la littérature, aux arts, à la philosophie de nous transmettre des préceptes de vie ?
C’est justement la grande idée qui a surgi au XIXe siècle : la culture va prendre le relais de la religion dans l’éducation morale de l’homme. Sauf que si vous vous pointez au département de littérature ou de philosophie d’une université pour annoncer : « Je viens ici pour apprendre à vivre, à aimer, à mourir », on aura tôt fait de vous réorienter vers l’asile psychiatrique ! « Ici, on étudie le concept d’intentionnalité chez Quine ou l’influence des théories de Sénèque sur le théâtre du XVIIe siècle ! »
Paradoxalement, la plupart des grands artistes du XXe siècle cultivaient une intention spirituelle...
Le monde culturel laïque est froid. Dans un musée, on va vous indiquer la date d’un tableau et les matériaux utilisés pour sa réalisation. Et je me souviens de moi jeune homme voyant une exposition de Rothko, à la Tate Gallery, sans savoir quoi en penser : je n’étais pas fidèle à mes propres impressions. Des années plus tard, j’ai lu une interview où il disait : « Je veux que les gens puissent entrer en dialogue avec leur tristesse, notre tristesse commune, en regardant mes tableaux. » Mais ça, la Tate ne va pas vous le dire ! Trop simple ! Trop kitsch ! Et pourtant, les religions savaient que l’art est aussi un moyen d’élévation morale : il s’adresse à notre corps tout entier et non seulement à notre raison. Les tableaux de la Renaissance expriment par des sentiments simples ce qu’il faut aimer et ce qu’il faut craindre, et cela ne les empêche pas d’être des chefs-d’œuvre d’une grande complexité.
Les musées devraient donc être revitalisés ?
Pourquoi, en effet, ne pas répartir les œuvres dans des salles dédiées aux grands états existentiels : la galerie de la connaissance de soi, de l’amour ou de la souffrance? Le directeur d’un musée de Toronto m’a récemment contacté afin d’organiser une exposition selon ce principe didactique. On va voir ce qu’on peut faire ensemble.
“Nous pouvons encore beaucoup inventer”
Votre premier succès s’intitulait Comment Proust peut changer votre vie. Aujourd’hui vous expliquez que les livres ne suffisent pas.
Oui, c’est une certaine impatience envers le monde intellectuel qui m’a inspiré cet essai. On continue à s’imaginer que si le monde va mal, c’est qu’on n’a pas encore trouvé la bonne idée. Mais ce n’est pas vrai : il y a énormément d’excellentes idées dans les livres. Simplement elles ne sont pas mises en œuvre. Nous avons tout bêtement un problème d’organisation. Ce qui nous manque ce ne sont pas les idées, mais ce qui peut les soutenir. Et d’abord une organisation.
À quoi pensez-vous ?
Aujourd’hui, les seules organisations capables de nous rassembler sont les grandes marques commerciales. La psychanalyse, par exemple, c’est bien plus important que les coiffeurs. Et pourtant les coiffeurs pèsent infiniment plus lourd commercialement. Alors peut être qu’on pourrait s’inspirer de certains mouvements religieux, tels les Jésuites qui ont su faire montre d’une grande ambition pratique afin de répandre leurs idées, pour créer des écoles, devenir précepteurs auprès des grandes familles d’Europe, voyager aux quatre coins du monde. Il faudrait pareillement des mouvements issus de la société civile permettant à ceux qui cherchent une réponse spirituelle athée de se soutenir mutuellement.
À vous écouter, on a l’impression d’être à un nouveau commencement.
Oui. Certains peuvent croire que c’est la fin de l’Histoire, mais la civilisation laïque a moins de deux siècles. Nous commençons à peine. Et tout en s’inspirant des grandes expériences passées, il nous appartient d’innover dans le domaine des institutions sociales. Nous pouvons encore beaucoup inventer. par Philippe Nassif Source
LIRE AUSSI :
Le Monde des Religions, 23 mai 2012
LIRE AUSSI :
Le Monde des Religions, 23 mai 2012
No comments:
Post a Comment
Ce "post" vous a plu ? Laissez donc un commentaire !