L'Église catholique se déchire |
Alors que Rome vient d’annoncer un nouveau report pour une réponse définitive dans la perspective d’un ralliement de la Fraternité Saint-Pie X, les milieux intégristes se déchirent.
«Le processus est en cours. Il serait prématuré de dire quand cela se terminera.» Ces deux phrases prononcées le 16 mai par le directeur du bureau de Presse du Saint Siège ont douché quelques enthousiasmes du côté des traditionalistes catholiques. Ou plus précisément d’une partie d’entre eux.
Lancé en 2009, à la suite de la levée des excommunications à l’encontre des quatre évêques consacrés sans accord du pape en 1988 par Mgr Lefebvre, le processus de discussions entre le Vatican et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX) semblait pourtant être arrivé à son point ultime le 17 avril dernier. Mgr Fellay, supérieur général de la FSSPX, venait de répondre à la demande d’éclaircissements demandée par la Congrégation pour la doctrine de foi (CDF) à propos du Préambule doctrinal remis le 14 septembre dernier et qui conditionnait la signature d’un accord. C’était sans compter sur la remarquable capacité des milieux traditionalistes, qu’ils soient ou non ralliés à Rome, à mettre sur la place publique leurs querelles et à livrer ainsi aux observateurs une image moyennement convaincante de leur capacité à générer l’esprit de communion qu’ils assurent par ailleurs vouloir promouvoir.
La pensée de Benoît XVI «imprégnée de subjectivisme»
Si l’on ne connaît pas vraiment le contenu de la réponse de Mgr Fellay à la CDF, plusieurs courriers internes de la FSSPX ont été diffusés par des canaux officieux pour finalement se retrouver sur Internet (1). Ils permettent de se faire une idée des lignes de fractures au sein du milieu lefebvriste.
Dans une lettre du 7 avril adressée à Mgr Fellay, trois des quatre évêques consacrés en 1988 – Mgr Tissier de Mallerais, Mgr de Galarreta et le sulfureux Mgr Williamson, dont les propos sur les chambres à gaz avaient défrayé la chronique en 2009 – faisaient part de leur «opposition formelle à tout accord», même «pratique» avec la CDF.
Pour les trois hommes, les autorités officielles se seraient «séparées de la vérité catholique» depuis Vatican II. Quant à Benoît XVI, sa pensée serait « imprégnée de subjectivisme », autrement dit soumise au monde moderne. En acceptant un accord, la FSSPX se mettrait, selon eux, «entre les mains des modernistes et libéraux».
Dans sa réponse du 14 avril, Mgr Fellay, qui n’est pas précisément ce qu’on peut appeler un moderniste ou un libéral, justifie pourtant la poursuite des discussions, reprochant à ses trois collègues d’avoir oublié les gestes récents du pontificat en faveur de la «Tradition», et allant jusqu’à leur poser la question-piège : «Pour vous, Benoît XVI est-il encore un pape légitime ?»
En d’autres termes, à trop vouloir jouer les purs, les tenants de la ligne dure seraient susceptibles de tomber dans le sédévacantisme, position défendue par quelques groupuscules et selon laquelle le Siège de Pierre serait occupé par des usurpateurs depuis Pie XII (ou Jean XXIII)…
Dans sa défense de Benoît XVI, Mgr Fellay cite même Mgr Lefebvre, lequel assurait que «ce n’est pas parce que quelqu’un est libéral qu’il est nécessairement hérétique». C’est que le supérieur de la FSSPX a une autre visée : celle d’un «combat intra-muros» d’autant plus envisageable que le mouvement en faveur de la «Tradition» prendrait selon lui de l’ampleur, touchant «bon nombre (encore une minorité) de jeunes prêtres, de séminaristes et même déjà un petit nombre de jeunes évêques».
Et de livrer ce jugement : «J’ai pu constater à Rome combien le discours sur les gloires de Vatican II que l’on va nous ressasser, s’il est encore dans la bouche de beaucoup, n’est cependant plus dans les têtes. De moins en moins y croient…»
La nouvelle évangélisation, un «christianisme assez dégénéré»
Apparemment, ces échanges ont suffisamment intéressé la CDF pour qu’elle décide de prendre le temps d’un examen plus approfondi, précisant même que le cas des trois évêques ultras devait être traité «séparément et personnellement». À ce stade de l’affaire, tout semble donc se passer comme si une nouvelle frange des traditionalistes intégristes était malgré tout en mesure de rallier Rome autour de Mgr Fellay en se différenciant, en tout cas sur la forme, des jusqu’au-boutistes.
Toute la question étant de savoir où se trouve le gros des troupes. Si l’on en juge d’après les échanges publics de la tradisphère intégriste et certaines informations rapportées par des observateurs avisés, il semblerait que les trois pasteurs ultras gardent la main sur une bonne partie du troupeau.
Le cas de la Province de France de la FSSPX, toujours central dans l’économie générale du traditionalisme catholique, est emblématique de ces tensions. Dans l’éditorial du dernier numéro de Fideliter, la revue de la Province de France de la FSSPX, l’abbé Régis de Cacqueray, supérieur de ladite Province, fait tout pour rendre impossible un accord, proclamant son dégoût pour «la nouvelle religion qui a été mise en place depuis un demi-siècle dans l’Église», laquelle serait «dévastée par les hérésies et une victoire toujours plus impudente de l’esprit du monde».
Il va même jusqu’à évoquer les nouveaux mouvements d’Église, fer de lance de la «nouvelle évangélisation» promue par Benoît XVI, comme relevant d’un «christianisme assez dégénéré».
Inspection romaine à l'Institut du Bon Pasteur
Du côté de l’Institut du Bon Pasteur (IBP), érigé par Rome en 2006 pour permettre à certains fidèles «l’usage exclusif de la forme extraordinaire du rite romain» (la messe dite tridentine, à l’ancienne) et qui rassemble nombre d’anciens membres de la FSSPX, l’ambiance est elle aussi tendue.
Une inspection romaine, dont il ressort quelques demandes sensibles – ne plus parler d’«usage exclusif» mais «d’usage propre» du rite extraordinaire ; ne plus centrer la formation des séminaristes de l’IBP sur la critique de Vatican II mais privilégier «l’herméneutique du renouvellement dans la continuité» –, a réveillé les ardeurs combattantes de certains membres, convaincus d’une tentative de mise au pas par Rome. Une interprétation vaguement paranoïaque qui en désole d’autres, comme l’abbé Guillaume de Tanoüarn, une des grandes figures de l’IBP et par ailleurs fervent partisan d’un apaisement des tensions entre les traditionalistes dans leur ensemble et le reste de l’Église.
À la fin de la Seconde guerre mondiale, Matyas Rakosi, chef du parti communiste hongrois, avait théorisé la tactique dite du « salami », consistant à découper tranche par tranche l’opposition jusqu’à ce qu’il n’en reste plus rien. Après la Fraternité Saint-Pierre, fondée en 1988 pour accueillir les membres de la FSSPX qui avaient refusé de suivre le schisme de Mgr Lefebvre, après les membres de l’Institut du Bon Pasteur en 2007, une nouvelle tranche du salami intégriste est peut-être en train de tomber dans l’escarcelle de l’Église romaine. Mais ce qui est remarquable, c’est que ce sont les intégristes eux-mêmes qui semblent manier le couteau.
Note :
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