Fazil Say, pianiste turc |
Le pianiste turc mondialement connu et bête noire des islamistes, Fazil Say, a comparu jeudi devant un tribunal d'Istanbul où il a rejeté les accusations d'atteintes aux valeurs religieuses des musulmans, a constaté l'AFP.
La justice turque l'a inculpé au début de l'été pour "insulte aux valeurs religieuses d'une partie de la population" après qu'il a publié sur son compte Twitter quelques tirades provocatrices sur l'islam, religion très majoritaire en Turquie, et les musulmans.
"Je rejette toutes les accusations", a dit le compositeur habillé tout en noir et visiblement énervé lors d'une brève intervention devant la cour, avant de remettre au juge sa défense écrite.
Ses avocats ont réclamé l'acquittement immédiat de leur client, ce qui a été refusé par le tribunal d'instance qui a fixé la prochaine audience au 18 février.
Le virtuose, âgé de 42 ans, encourt une peine d'un an et demi de prison.
RAPPEL : J'en parlais déjà en juin 2012
Dans l'acte d'accusation, il lui est reproché d'avoir envoyé des messages tels que : "Je ne sais pas si vous vous en êtes aperçus, mais s'il y a un pou, un médiocre, un magasinier, un voleur, un bouffon, c'est toujours un islamiste".
La justice a été saisie par trois particuliers, s'estimant lésés par ses propos sur les réseaux sociaux.
"Quand j'ai lu (les messages de Say), j'ai été brisé, je me suis senti déshonoré", a affirmé l'un d'eux, Turan Gümüs, devant la cour jeudi.
L'ouverture de ce procès relance la controverse sur une islamisation de la société turque, un sujet qui divise profondément les tenants de la laïcité, une institution républicaine, et les partisans du pouvoir islamo-conservateur.
"Les procès de l'Inquisition étaient les mêmes. Ils interdisent tout ce qui pousse les gens à penser, à rire", a déclaré à l'AFP le sculpteur Mehmet Aksoy, venu avec une centaine de militants, dont de nombreux artistes, afficher leur soutien à Fazil Say.
"C'est un peu comme le combat entre l'obscurité et la lumière, le progressisme et la régression", a ajouté M. Aksoy, dont une monumentale statue dédiée à la réconciliation entre Turcs et Arméniens a été démontée en 2011 après que le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan l'a qualifiée de "monstruosité".
La députée allemande d'origine turque Sevim Dagdelen a pour sa part rendu publique une pétition signée par 103 parlementaires allemands de gauche contre les poursuites visant le pianiste.
"Dans un pays laïc et démocratique, la simple expression d'une opinion ne doit pas conduire à des accusations de crime grave ou à des peines de prison longues", souligne le document.
Laïc convaincu et fils d'un intellectuel engagé, Fazil Say a régulièrement suscité la polémique en critiquant vertement le gouvernement du Parti de la justice et du développement (AKP), issu de la mouvance islamiste et que les milieux défendant la laïcité accusent de vouloir islamiser la Turquie en catimini.
Des militants islamistes l'attaquent régulièrement sur les réseaux sociaux ou sur les plateaux de télévision, l'accusant de bafouer la religion.
En avril, un député de l'AKP, Samil Tayyar, s'était demandé, lui aussi sur Twitter, si ce n'était pas la mère de Fazil Say qui sortait "d'une maison close".
En 2007, son "Requiem pour Metin Altiok", dédié au poète turc mort avec 36 autres intellectuels laïcs à Sivas (centre) en 1993 dans l'incendie volontaire de leur hôtel par une foule d'islamistes intégristes, avait été censuré par le ministère turc de la Culture.
Mardi soir, le musicien a dit dans un communiqué sa "stupéfaction" de devoir comparaître devant des juges.
"J'ai représenté le visage moderne de la Turquie par mon art à travers le monde (...) et maintenant je dois être jugé. Je me sens très étrange", a-t-il dit.
Say, qui s'est éloigné des réseaux sociaux depuis son inculpation, avait indiqué quelques mois plus tôt qu'il envisageait de s'exiler au Japon.
"Si je suis condamné à la prison, ma carrière sera terminée", avait affirmé le virtuose, qui remplit des salles entières de Tokyo à Berlin, Paris, Londres ou Salzbourg. par AFP Source
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Fazil Say, jugé pour blasphème et pour l'exemple
L'athéisme militant devient-il un délit en Turquie ? Les poursuites pénales lancées contre le pianiste de renommée internationale Fazil Say, qui sera jugé à Istanbul à partir de jeudi 18 octobre, le laissent penser. La justice de son pays l'a inculpé au printemps pour "insulte aux valeurs de la religion musulmane" après qu'il a publié sur son compte Twitter quelques tirades provocatrices.
Le compositeur clame régulièrement son athéisme et tourne ouvertement en ridicule la bigoterie du gouvernement islamo-conservateur au pouvoir et d'une partie de la population turque, sur un ton que n'apprécie guère l'entourage du premier ministre Recep Tayyip Erdogan. En avril, M. Say avait moqué l'appel à la prière d'un muezzin. "Le muezzin a terminé son appel en 22 secondes. Prestissimo con fuoco !!! Quelle est l'urgence ? Un rendez-vous amoureux ? Un repas au raki ? " Il avait également eu l'audace de reproduire sur les réseaux sociaux des vers du poète persan Omar Khayyam, auquel il a consacré un concerto pour clarinette : "Vous dites que des rivières de vin coulent au paradis. Le paradis est-il une taverne pour vous ? Vous dites que deux vierges y attendent chaque croyant. Le paradis est-il un bordel pour vous ?"
Depuis, l'artiste, très populaire parmi les Turcs laïques , a cessé de pianoter sur Twitter et s'est fait le plus discret possible dans les médias, se concentrant sur la musique. En juin, la première de sa symphonie, Mésopotamie, a été acclamée pendant dix-sept minutes par un public conquis. Il ne sera pas présent à l'ouverture du procès et espère une décision clémente de la justice. Mais il risque, en théorie, de neuf à dix-huit mois de prison pour avoir enfreint l'article 216 du code pénal turc, qui punit toute "offense propageant la haine et l'hostilité" contre une institution, mais aussi "le dénigrement des croyances religieuses d'un groupe". Une définition suffisamment large pour laisser libre cours à l'interprétation des magistrats.
"Je n'ai pas insulté l'islam, di-il, juste "retweeté" des vers que je trouvais amusants. 165 autres personnes ont fait de même, mais je suis le seul à avoir été poursuivi." Après l'ouverture d'un procès contre lui, le musicien a déclaré qu'il songe à s'exiler au Japon.
"Je n'ai pas insulté l'islam, di-il, juste "retweeté" des vers que je trouvais amusants. 165 autres personnes ont fait de même, mais je suis le seul à avoir été poursuivi." Après l'ouverture d'un procès contre lui, le musicien a déclaré qu'il songe à s'exiler au Japon.
Ce n'est pas la première fois que Fazil Say menace de quitter la Turquie, où il était revenu vivre après plus de quinze ans passés entre l'Allemagne et New York. En 2007, après la large réélection au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan, il avait annoncé qu'il songeait à aller s'installer ailleurs. "Les islamistes ont gagné, ils sont 70 % et nous 30 %." Ses remarques désabusées sur les femmes voilées dans l'espace public ou sur la transformation de la société turque font régulièrement de lui la cible de critiques de la part des milieux pro-gouvernementaux. En 2009, il avait refusé de faire partie de la programmation de la Saison culturelle turque en France, par défiance pour le pouvoir, et il avait montré tout son mépris pour ceux qui préfèrent "l'arabesque", une musique populaire, au classique. En avril, un député de l'AKP, Samil Tayyar, s'était demandé, lui aussi sur Twitter, si ce n'était pas la mère de Fazil Say qui sortait "d'une maison close".
"La Turquie aime persécuter ses artistes", a rappelé la presse locale avant ce procès, citant notamment le cas du romancier et Prix Nobel Orhan Pamuk, jugé pour insulte à l'identité nationale turque en 2006 pour avoir déclaré : "Dans ce pays, un million d'Arméniens et 30 000 Kurdes ont été tués."
L'"honneur" de la patrie, de l'armée, de Kemal Atatürk et de la religion sont garantis par le code pénal. A plusieurs reprises, la protection des valeurs religieuses a servi à justifier d'autres poursuites. Même si la laïcité fait partie des fondements institutionnels de la République turque, le blasphème, ou supposé tel, est de plus en plus souvent dénoncé, même si les condamnations sont rares. Le caricaturiste Bahadir Baruter reste sous la menace d'une peine d'un an d'emprisonnement pour avoir réalisé un dessin à la "une" de l'hebdomadaire satirique Penguen, en 2011, où était écrit sur le mur d'une mosquée : "Il n'y a pas de Dieu, la religion est un mensonge."
Le romancier franco-turc Nedim Gürsel a lui aussi subi les foudres de la justice pour Les Filles d'Allah, une biographie romancée du prophète Mahomet. Quarante et un passages de son livre avaient été jugés irrespectueux par le procureur d'Istanbul. Nedim Gürsel avait finalement été acquitté en 2009. Un procès avait aussi visé un ouvrage du biologiste britannique Richard Dawkins. Des organisations islamistes et un auteur créationniste, Adnan Oktar, sont souvent à l'origine de ces plaintes. La simple représentation du prophète de l'islam est contraire au dogme majoritaire.
La réaction de la Turquie a pourtant été modérée après la publication le mois dernier sur Internet du film islamophobe, L'Innocence des musulmans. Si le brûlot a été censuré par la version turque du site Internet YouTube, les manifestations de protestation sont restées limitées. Les officiels turcs se sont contentés de rappeler leur intention de pénaliser l'insulte aux valeurs religieuses dans la nouvelle Constitution que la Turquie devrait adopter prochainement. "Jurer et insulter ne peut pas être considéré comme de la liberté d'expression", a estimé le vice-premier ministre Bekir Bozdag, théologien de formation. Ce dernier a réclamé qu'une enquête soit ouverte contre l'intellectuel d'origine arménienne Sevan Nisanyan. Ce linguiste, volontiers provocateur, déclarait fin septembre : "La moquerie d'un chef arabe qui a prétendu il y a des siècles être entré en contact avec Dieu et a fait des bénéfices politiques, financiers et sexuels, n'est pas un crime de haine ; c'est la liberté de parole." par Guillaume Perrier Source
Lire également l'article Derrière le provocateur, un musicien passe-muraille
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