Si Dieu n'existe pas ou plus, c'est bien
Hitler qui l'a tué
Adolf Hitler et le symbole de l'antisémitisme |
L'historien John Laughland1 analyse les
séquelles de la Seconde Guerre mondiale dans la mémoire collective
d'aujourd'hui.
Plus la Seconde Guerre mondiale s'éloigne,
plus longue est l'ombre qu'elle projette sur notre vie quotidienne. La victoire
sur le nazisme est célébrée chaque année en Russie2 comme si elle avait
eu lieu hier ; en Europe occidentale, la fin de la Seconde Guerre mondiale
constitue la raison d'être de l'Union européenne qui puise le peu de légitimité
dont elle jouit dans l'affirmation mille fois répétée qu'elle aurait réussi à
garantir la paix après le conflit mondial.
Dans le discours politique, médiatique et intellectuel, Hitler n'a jamais été aussi présent3. Toutes les semaines,
ou presque, un reportage rend compte de tel ou tel événement lié aux années
trente et quarante – un vieux SS qui passe devant un tribunal, une
nouvelle découverte d'un document historique lié à la personnalité du
chancelier du Reich, une énième évocation des camps de la mort.
En Europe et aux États-Unis, par contre, on
ne se souvient que du génocide perpétré contre les Juifs. Cette mémoire
intense est, hélas, sélective.
En Russie, ce qui est naturel, on se
souvient du sacrifice gigantesque des peuples de l'Union soviétique : 27
millions de morts est un chiffre très supérieur, en termes absolus comme en
pourcentage, au nombre de victimes en France lors de la Première
Guerre mondiale, dont on dit pourtant qu'elle a saigné le pays à blanc.
En Europe et aux États-Unis, par contre, on
ne se souvient que du génocide perpétré contre les Juifs. On oublie notamment
certains faits historiques majeurs comme le Generalplan
Ost [« Plan absolu de l’Est »] qui prévoyait
l'expulsion massive et l'extermination des populations slaves de l'Europe de
l'Est et de l'URSS, ou le « Plan de la faim », Hungerplan, de 1941 qui prévoyait la
livraison de la totalité de la production agricole des territoires occupés à
l'Est aux troupes allemandes, entraînant la mort par famine de quelques 30
millions de citoyens soviétiques. Ces oublis vont de pair avec une tendance à
mettre le communisme et le nazisme sur un pied d'égalité : ils seraient deux
aspects d'un même «totalitarisme». Mais cette assimilation facile de l'un à
l'autre occulte la spécificité du nazisme, et en particulier son caractère
proprement diabolique.
Hitler aurait voulu liquider physiquement le « disque dur » juif qui contient le logiciel du Décalogue, afin de détruire la morale judéo-chrétienne pour la remplacer par une anti-moralité, celle d'un Gengis Kahn
En effet, il est juste que la volonté
hitlérienne de détruire physiquement le peuple juif retienne notre attention,
et non seulement à cause de la cruauté extrême de ce projet. Elle a une portée
métaphysique et théologique. Dans un petit livre saisissant publié en allemand
en 1995, Pourquoi Auschwitz ?, le sociologue et
économiste Gunnar Heinsohn a affirmé qu'Hitler voulait détruire le peuple juif
parce que celui-ci était le peuple choisi par Dieu pour recevoir et témoigner
de l'interdiction divine de tuer. Avec sa vision nietzschéenne du judaïsme,
comme du christianisme, Hitler aurait voulu liquider physiquement le
« disque dur » juif qui contient le logiciel du Décalogue, afin de détruire la morale judéo-chrétienne pour la remplacer par une anti-moralité, celle d'un Gengis Kahn qui rentrait joyeux de ses massacres de femmes et d'enfants.
« disque dur » juif qui contient le logiciel du Décalogue, afin de détruire la morale judéo-chrétienne pour la remplacer par une anti-moralité, celle d'un Gengis Kahn qui rentrait joyeux de ses massacres de femmes et d'enfants.
La mort d'Hitler devait mener à sa propre réincarnation
De même, le théologien et historien
français, Fabrice Bouthillon, dans son brillant petit ouvrage de 2007, Et le bunker était vide : lecture du testament
politique d'Adolf Hitler (cet essai est reproduit dans
le dernier chapitre de son livre publié en 2009, Nazisme et révolution), affirme aussi qu'Hitler
voulait, avec son suicide, créer une nouvelle «église» qui lui survivrait. L'interprétation
christique, ou plutôt anti-christique, du théologien français des derniers
jours d'Hitler repose sur sa lecture minutieuse du testament que le chancelier
a dicté à Josef Goebbels, ministre de la propagande, et à trois autres proches,
peu avant de se donner la mort. Un document trop négligé par les
historiens mais dont le sens est à la fois politique et théologique. Hitler,
qui présente son suicide comme un sacrifice destiné à rendre sa philosophie
éternelle, écrit à propos des membres du gouvernement, qu'il nomme pour
lui succéder, qu'ils seront «après
ma mort, des compagnons intimes, tout comme j'espère que mon esprit restera
parmi eux et les accompagnera toujours». Le Führer croyait à sa propre
immortalité et ses paroles rappellent celles de Jésus lors de la Cène.
Pour Fabrice Bouthillon, le testament
d'Adolf Hitler, qui a été authentifié par quatre témoins, était destiné à
remplacer le Nouveau testament. Son double suicide avec Eva Braun, qui, dans sa
tête, était la nouvelle Ève, et dont le nom évoquait la couleur du parti nazi,
était censé incarner un retour à la terre, brune, d'où était sorti le nouvel
Adam – ou Adi, le surnom d'Adolf. La mort d'Adolf Hitler devait le mener à
sa propre réincarnation.
Hitler a remplacé Jésus comme la référence morale suprême de notre temps: référence négative, certes, mais néanmoins dominante
Hitler a-t-il réussi son pari grotesque
? La fameuse loi de Godwin, selon laquelle tout débat politique débouche
inévitablement4 sur la dénonciation de l'adversaire comme Hitler, est
confirmée tous les jours sur internet. Et chaque nouvel ennemi de l'Occident
– Milosevic, Saddam Hussein, le colonel Kadhafi, le président Assad
– est présenté comme une nouvelle incarnation de celui qui a régné sur
l'Allemagne entre 1933 et 1945.
Hitler a remplacé Jésus en tant
que référence morale suprême de notre temps : référence négative, certes,
mais néanmoins dominante. Là où Jésus était un modèle positif à imiter, Adolf
Hitler est le mal absolu à dénoncer ; la foi en Dieu a été supplantée par la
foi en le diable. Pour plusieurs philosophes et théologiens juifs, dont Elie
Wiesel, la Shoah a démontré la non-existence de Dieu.
Mais si Dieu n'existe pas ou plus, c'est bien Hitler qui l'a tué, exactement comme il voulait le faire en laissant se déchaîner le mal absolu dans le monde
La meilleure façon de vaincre Hitler
aujourd'hui, plus de 70 ans après sa vraie défaite, serait-ce finalement
de l'oublier ? La mémoire en permanence renouvelée des atrocités
hitlériennes est en quelque sorte une victoire posthume de leur auteur. La
prétendue réincarnation constante d'Hitler dans de nouveaux ennemis est non
seulement absurde ; c'est une faute morale car elle pourrait donner raison à
celui qu'on entend dénoncer. La meilleure façon de vaincre Adolf Hitler,
aujourd'hui, plus de 70 ans après sa vraie défaite, serait-ce finalement
de l'oublier ? Source
NOTES :
1 : John Laughland est directeur des
Etudes à l'Institut de la Démocratie et de la Coopération (Paris), philosophe
et historien. De nationalité britannique, il est l’auteur de plusieurs ouvrages
historiques et géopolitiques traduits en sept langues.
No comments:
Post a Comment
Ce "post" vous a plu ? Laissez donc un commentaire !