Pas de mariage
religion-politique
Avec l’intronisation du nouveau pape, l’Eglise copte amorce officiellement son
repositionnement dans la société civile, comme sur la scène politique.
Au milieu des chants, des psaumes et hommages,
en arabe, en grec, en anglais et en copte, l’évêque Pakhomios, patriarche par
intérim depuis le décès de Chénouda III, a procédé à l’intronisation de Tawadros
II ce dimanche.
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Hicham Qandil lors de la messe d'intronisation du nouveau pape.
(Photo: Reuters) |
Agé de 60 ans, il est désormais le 118e «pape
d’Alexandrie, patriarche de toute l’Afrique et du siège de Saint-Marc». La
cérémonie consacrant le nouveau patriarche des coptes orthodoxes d’Egypte, la
plus importante communauté chrétienne du Moyen-Orient, a été célébrée avec faste
et solennité dans la Cathédrale de Saint-Marc au Caire.
Cette intronisation a pris place dans une
société et un échiquier politique radicalement différents de ce qu’ils étaient
sous les régimes précédents, y compris celui de Moubarak. L’Eglise et son
patriarche recadrent aujourd’hui leur position et redéfinissent leur action.
Depuis sa désignation, deux semaines avant sa consécration, Tawadros II a
multiplié les déclarations sur les questions-clés concernant la place des coptes
dans la société égyptienne.
Intraitable sur les questions liées à la
citoyenneté et aux libertés religieuses, il se présente en revanche comme un
patriarche mesuré sur le terrain politique, se démarquant de son prédécesseur en
recommandant plutôt qu’en interdisant ou en excommuniant.
Rejet d’un Etat
religieux
Sur l’actualité brûlante de la Constitution,
Tawadros II a tout d’abord rappelé que la revendication principale des coptes
était la construction d’une citoyenneté pleine et entière s’appliquant à
l’ensemble des Egyptiens. Il a ainsi prévenu, dès le lendemain de sa
désignation, qu’ «une Constitution qui suggère l’imposition d’un Etat religieux
en Egypte était absolument rejetée», et a appelé les forces nationales à
transcender leurs ambitions politiques pour rédiger une Constitution
consensuelle.
Il ajoute qu’une Constitution qui négligerait
une partie des citoyens égyptiens serait un frein au développement économique,
culturel et social de l’Egypte. Naguib Gabriel, président de l’Union égyptienne
des droits de l’homme, partage les craintes du pape Tawadros, notant : «Ce
projet de Constitution ne tient compte ni du caractère civil de l’Etat, ni des
droits de l’homme, ni des accords internationaux, et suscite des craintes non
seulement pour les coptes mais aussi pour tous les Egyptiens».
Sur le rôle de l’Eglise, le pape a tenu à
rappeler que, sous les régimes précédents, l’Eglise avait été acculée à jouer un
rôle politique devenant le relais entre le pouvoir et cette communauté pour
résoudre des problèmes qui relèvent normalement de la société civile, des
instances de l’Etat et du droit. Tawadros rappelle que ce n’est ni le rôle
normal de l’Eglise, ni de son pape, déclarant : «L’Eglise ne jouera pas de rôle
politique. La religion et la politique ne font pas bon ménage. Il est temps que
les coptes se placent sur la carte politique pour sauvegarder leurs droits».
Le pape répond ainsi à une revendication des
jeunes activistes coptes, rejetant la tutelle politique de l’Eglise, comme le
souligne Youssef Sidhom, rédacteur en chef du journal copte Watani : «L’Eglise
est une instance religieuse à l’instar d’Al-Azhar. Elle ne représente pas les
chrétiens qui, eux, doivent s’impliquer davantage dans la vie politique».
Pas de normalisation
Certains sujets déclencheraient inévitablement
des polémiques féroces, ou pourraient alimenter tout type de rumeur pour
stigmatiser les coptes. S’exprimant sur le pèlerinage à Jérusalem, le pape a
donc déclaré qu’un «tel périple serait inapproprié. Après la guerre de 1973, un
traité de paix a été conclu avec Israël, mais il n’y pas eu de normalisation
entre les deux peuples, et si une minorité s’avise d’accomplir ce périple,
certains pourraient le percevoir comme une trahison».
Il rappelle ainsi aux coptes que la terre même
de l’Egypte est une terre sainte, qui a accueilli Jésus et qui comprend des
sites à la spiritualité comparable à celle de Jérusalem.
Sur la question des lieux de culte, il déplore
qu’au XXIe siècle, la restauration ou la construction d’une église déclenche des
problèmes, soit sujette à caution et se perde dans les méandres des
autorisations officielles et administratives. Il rappelle que c’est un problème
qui doit trouver une solution et qui a été systématiquement ajourné durant les
décennies passées, excepté «au début des années 1970, (où) le Parlement avait
émis un rapport remarquable en dix points, mais qui malheureusement a fini dans
les tiroirs».
Sur la question fondamentale des agressions
proprement dites contre les coptes, bien qu’il ait affirmé ne pas craindre
l’arrivée de courants islamistes sur la scène politique, il a insisté sur le
fait que «l’organisation des relations entre toutes les tranches de la société
est de la responsabilité de l’Etat», formant ainsi encore une fois le voeu que
soit instauré un Etat de droit.
Dénoncer les
injustices
Pourtant, les doléances du pape concernant la
discrimination notamment risquent de rester lettre morte, puisqu’elles sont
souvent rejetées par les islamistes. Hamdi Hassan, ancien porte-parole des
Frères musulmans, dément ainsi toute injustice faite aux coptes, en arguant que
«pour la première fois, les coptes pourront appliquer leur propre code du
statut personnel dans la nouvelle Constitution, qui interdit également toute
discrimination sur la base du genre ou de la religion». C’est, selon Hassan, un
signe d’ouverture de la part de la majorité islamiste qu’il serait dangereux
pour les coptes de rejeter.
Le président Mohamad Morsi, invité à la
cérémonie, avait indiqué qu’il se ferait représenter, sans donner de raison
précise. Sa possible présence avait été contestée par certains courants
islamistes qui y voyaient une dérogation à la charia, tandis que les coptes
auraient sans doute considéré la présence du président comme un geste
rassurant.
Il n’y a pas encore eu à proprement parler
d’événement-test permettant de savoir quelle forme prendront les rapports entre
l’Eglise et le pouvoir islamiste, ou l’Eglise et les différentes forces
politiques islamistes. Cependant, les différentes déclarations et réactions de
part et d’autre laissent à penser que ce pape, qui souhaite que l’Eglise s’en
tienne à son rôle spirituel, positionnera tout de même celle-ci en soutien des
revendications citoyennes.
par Mohamed Abdel-Hady Source