Tensions entre l’Eglise catholique et le gouvernement : au delà de l’anticléricalisme
Parler de rupture serait exagéré, mais l’heure est bien aux tensions entre l’Eglise catholique et le gouvernement. En six mois, la liste des désaccords et des prises de bec entre la gauche, dans toute sa diversité, et les responsables religieux n’a fait que s’allonger : mariage pour tous, procréation médicale assistée, recherche sur l’embryon, réflexion sur le suicide assisté, «réquisition» de bâtiments vides… Et l’ambiance ne devrait pas se détendre dans les prochains mois.
Le Parlement débutera fin janvier l’examen du projet de loi sur «le mariage pour tous», le sujet le plus clivant entre l’Eglise catholique et un gouvernement depuis 1984, date de la réforme de l’école privée envisagée, puis abandonnée, par la gauche. Qu’ils aient été en première ligne, comme les cardinaux Philippe Barbarin et André Vingt-Trois, ou relayés par des laïcs particulièrement engagés, les religieux sont parvenus à structurer l’argumentation des opposants au mariage pour tous. Sans leur mobilisation, il n’est pas sûr que les réserves face à ce projet de loi aient prospéré, au point de rallier plus de 100 000 personnes dans les rues de France, le 17 novembre. Et les organisateurs de la manifestation prévue à Paris le 13 janvier ont beau clamer qu’elle ne sera «ni confessionnelle, ni politique», les cortèges devraient rester marqués par une forte présence catholique.
"Des textes votés en catimini"
Le fossé semble donc se creuser. Et pas seulement sur le fond. Une partie des catholiques se sont sentis «choqués, blessés, voire méprisés» par le traitement qu’ont réservé les parlementaires aux représentants religieux (y compris, protestants, orthodoxes, musulmans, juifs et bouddhistes) lors de leur audition à l’Assemblée nationale le 29 novembre. «Cet échange s’est transformé en une harangue contre les religions», déplore-t-on à la Conférence des évêques de France. Des députés socialistes ont depuis reconnu que leurs collègues auraient pu être «un peu plus courtois».
Avec ses déclarations sur les «bâtiments quasi-vides» de l’Eglise catholique et leur possible «réquisition» pour accueillir les sans-abris, la ministre du logement, Cécile Duflot, a suscité un autre motif d’agacement au sein du monde catholique. Enfin, s’ils reconnaissent que le vote, le 5 décembre, par le Sénat d’une proposition de loi assouplissant la recherche sur l’embryon ne constitue pas une attaque directe contre l’Eglise, là encore des catholiques s’insurgent contre la méthode. «Pourquoi voter en catimini des textes touchant des questions graves qui mériteraient de vrais débats ?».
Un commerce poli, des relations ambivalentes
Pourtant, au-delà du ressenti de certains catholiques sur un climat qualifié «d’anti-chrétien», -voire de «catholiphobe» comme l’a évoqué Christine Boutin-, au-delà aussi des déclarations laïcardes d’une partie de la gauche, l’Etat et l’Eglise catholique poursuivent un commerce poli. L’instance de dialogue entre les deux parties, instaurée en 2002 par… Lionel Jospin devrait se réunir en début d’année, en compagnie du nonce apostolique. Le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, assiste avec constance aux célébrations liées à la vie de l’Eglise : 850 ans de Notre Dame de Paris, béatification, canonisation. François Hollande, «par respect des traditions» a accepté le titre de chanoine du Latran, à Rome, tout en précisant qu’il ne se rendrait pas sur place contrairement à la plupart de ces prédécesseurs.
Ces relations ambivalentes tiennent à plusieurs évolutions. D’une part, l’institutionnalisation des rapports entre les cultes et les pouvoirs publics, aussi paradoxale soit-elle dans un Etat qui «ne reconnait aucun culte», a aujourd’hui atteint une forme de maturité. Dans le même temps, le fossé idéologique n’a cessé de se creuser entre la gauche, y compris la moins laïcarde, et l’Eglise. Non seulement le christianisme de gauche, en perte de vitesse depuis plusieurs décennies, n’irrigue plus qu’à la marge les cercles politiques. Mais ses représentants apparaissent souvent eux-mêmes en désaccord avec la ligne de l’Eglise institutionnelle. Ceux-là ont beau déplorer la position "victimaire" dans laquelle se place aujourd"hui l'Eglise, ils peinent à se faire entendre. «Dans sa structuration, l’Eglise catholique est clairement à droite», entend-on, en guise de résumé, dans les rangs socialistes.
Laïcisation des cultures
Enfin, la France, comme nombre de sociétés occidentales, fait face à une nouvelle étape dans l’acception du principe de laïcité. Ce qui est ressenti par certains croyants comme un nouvel anticléricalisme serait en fait, selon l’un des spécialistes français de ces questions, le chercheur Philippe Portier, «un affrontement entre deux cultures sur des points nodaux : les questions de vie (avortement, euthanasie, PMA), de famille, de genre et la marge de liberté individuelle par rapport à tous ces sujets". "Pour le front laïque, aujourd’hui, la question n’est plus seulement de laïciser les appareils, les structures et les institutions mais aussi les cultures», souligne le chercheur.
De fait, le gouvernement actuel, en dépit de velléités de certains socialistes en ce sens, ne proposera pas de revenir sur les lois Debré ou Carle (financement de l’enseignement privé) et encore moins sur le concordat d’Alsace et de Moselle. Dans ce contexte, les désaccords d’aujourd’hui, qui se jouent sur le plan «anthropologique», «éthique» ou «juridique», semblent encore plus irréconciliables que les combats qui ont fondé un siècle de laïcité. par Stéphanie Le Bars Cette analyse a été publiée dans Le Monde, daté 27 décembre 2012 Source
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