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Thursday, August 16, 2012

France, De la prison au couvent

Entretien avec Jean-Marie Gueullette Dominicain, théologien à l’Université catholique de Lyon, postulateur de la cause en béatification du P. Jean-Joseph Lataste.



Michelle Martin, complice de Dutroux
«La Croix» : Comment analysez-vous l’émotion suscitée par la décision des clarisses de Malonne d’accueillir Michelle Martin pour sa libération conditionnelle ?
Jean-Marie Gueullette : J’ai l’impression que deux sujets distincts se mélangent : d’une part la possibilité offerte à cette femme de sortir avant le terme de sa condamnation, perçue comme une sorte «d’indulgence» par les familles de victimes, mais sur laquelle l’Église n’a rien à dire. Et, d’autre part, la décision d’un couvent de l’accueillir. Sur ce point, il faut d’emblée rappeler qu’aucun endroit ne sera considéré comme «bon», personne – aucun immeuble, aucun village – ne voudra jamais accueillir la compagne de Marc Dutroux.

Quelle conception a l’Église de l’hospitalité ? Est-elle forcément inconditionnelle ?
Cette hospitalité repose sur la distinction fondamentale entre le péché et le pécheur, entre l’acte et l’auteur. L’hospitalité monastique a toujours été pratiquée, une fois la justice passée : elle n’est jamais une complicité avec le crime, seulement la traduction du principe selon lequel «tout être humain est mon frère». Ça, c’est inconditionnel. L’Église n’est pas composée de gens irréprochables : Paul, Pierre, Marie-Madeleine, qui en sont les piliers, ont eu des parcours pour le moins tortueux.
Pour elle, tout être humain est capable du meilleur comme du pire. Le P. Lataste, ce dominicain qui a fondé au XIXe siècle la congrégation des Sœurs de Béthanie pour accueillir à leur sortie de prison des femmes désirant devenir religieuses, le disait lui-même, après en avoir côtoyé certaines condamnées aux travaux forcés : «Après tout, ce sont mes sœurs».

L’incompréhension de la société n’est-elle pas un critère à prendre en compte ?
On mesure bien sûr l’émotion des familles. Mais le prix à payer par cette femme – même si elle restait plus de cinquante ans en prison – serait de toute façon bien inférieur à leur douleur. Je comprends donc aussi la décision des sœurs.
Qu’un comportement évangélique fasse scandale n’est pas une catastrophe ! J’espère même que l’Église va continuer à être parfois en décalage avec l’opinion publique : la pauvreté vécue par la famille franciscaine (à laquelle appartiennent ces clarisses) n’est pas « normale »non plus dans notre société. Si leur geste pouvait faire réfléchir, interroger sur l’atmosphère de lynchage qui entoure cette femme…

Et le fait que Michelle Martin n’ait jamais exprimé de remords ?
C’est une condition sine qua non pour obtenir le pardon de ses victimes : il serait héroïque de pardonner à son auteur une faute qu’il ne reconnaîtrait pas. Mais l’accueil de l’Église n’est pas de cet ordre.

Les évêques belges, encore aux prises avec les affaires de pédophilie, n’ont pas été prévenus…
Il semble en effet que l’Église belge – même si cela n’a aucun lien – est encore très marquée par la révélation d’actes pédophiles en son sein, d’où une impression de «complicité».Apprendre la nouvelle dans la presse n’était sans doute pas l’idéal pour les évêques. Mais les clarisses ne sont pas sous leur autorité directe. Surtout, le courage évangélique ne s’accommode pas toujours des fonctionnements institutionnels. Si elles avaient demandé leur avis à tout le monde, elles n’auraient jamais osé.

La publicité donnée à cette décision ne va-t-elle pas compliquer la tâche des sœurs ?
C’est à mon avis la grande difficulté à laquelle elles vont être confrontées. Le couvent des clarisses est relativement ouvert : Michelle Martin ne sera pas protégée par la clôture. Or un accueil comme celui-ci ne peut se faire que dans la plus totale discrétion, y compris à l’égard des autres membres de la communauté, comme c’est le cas chez les dominicaines de Béthanie ou les trappistes.
Cette discrétion absolue (sauf à l’égard de la mère abbesse ou du père abbé) est la seule solution pour que l’accueil soit vivable. Une autre difficulté, à mon avis, sera liée au statut «hybride» de Michelle Martin au sein de la communauté : elle y sera accueillie mais n’en fera pas partie. Ce type de présence n’est jamais simple. par Anne-Bénédicte HOFFNER Source 

Notes :
P. Jean-Marie Gueullette : «L’Eglise distingue l’acte et son auteur»
Ce spécialiste de l’œuvre du P. Lataste, fondateur des Sœurs dominicaines de Béthanie qui accueillent des femmes à leur sortie de prison pour leur permettre de devenir religieuses, explique les fondements de l’hospitalité dans l’Église. 

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