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Monday, June 11, 2012

Monde, Dis-moi en qui tu crois, je te dirai que tu achètes

Le spectre de la tradition religieuse permet de décoder les origines des produits de luxe

Ancien directeur de l'Institut français de la mode (IFM) aujourd'hui à la tête de l'ESCP-Europe, le professeur d'économie Pascal Morand s'est intéressé au rapport au luxe dans les religions. Avec Les Religions face au luxe : éthique de la richesse d'Orient en Occident (coédition IFM-Regard, sortie le 21 juin), il revient sur ces croyances - appréhendées au travers de leurs manifestations sociales et économiques - qui influencent les conduites et les représentations du luxe. L'incompatibilité apparente entre les religions, associées à la modération et à la quête de l'essentiel, et le luxe, perçu comme superficialité et excès, voile des relations subtiles et édifiantes. 

Dans l'introduction de votre livre, vous écrivez : "Le luxe peut exprimer la singularité des représentations sociales et esthétiques propre aux différentes cultures tout en se situant au cœur de la mondialisation des modes de consommation et de leur supposée convergence." Pouvez-vous détailler cette ambivalence ?
La manière de vivre le luxe est intimement liée aux racines culturelles, dans lesquelles les religions, dans leur dimension anthropologique, jouent un rôle extrêmement important. Il existe une perception et une réception des marques, et du luxe en général, qui peut différer très largement selon les traditions des différents pays. Vous avez des endroits où le luxe sera plus marqué par la profusion, alors que dans d'autres il sera caractérisé par une forme de retenue.
Dans le même temps, il symbolise complètement la mondialisation parce qu'il repose sur la puissance et la rayonnement de marques par delà les frontières de leur pays d'origine. Des maisons qui expriment des représentations occidentales - je pense notamment à des grandes marques françaises - jouent un rôle de premier plan dans l'industrie du luxe, mais elles vont avoir une influence différente selon les régions du monde. Car la caractéristique d'une grande marque de luxe est précisément de ne pas s'adapter à un marché. On est dans un marketing de l'offre et non de la demande.

En Chine, où le confucianisme prédomine, quel approche a-t-on du luxe ?
Dans le confucianisme, il y a une grande importance de la hiérarchie et du statut social. Cela n'est pas tant pour s'affirmer au détriment d'autrui que comme garant d'une stabilité sociétale, ce qui se traduit par un système extrêmement codé. Aujourd'hui, ces codes sont plus instables, mais on retrouve cette manifestation de l'interdépendance et de la conformité.
La forme ostentatoire est ainsi liée à la symbolique de l'appartenance à une certaine couche sociale, du moins de la communication de cette appartenance à travers ce que l'on consomme, mais aussi ce que l'on offre ou donne. Un des concepts clés de cette tradition est celui de "face". Il y a un mot très spécifique en mandarin : le mianzi.
Il faut donc qu'il y ait une visibilité et une reconnaissance du produit. Les modèles discrets et passe-partout ne trouveront a priori que peu d'écho sur ce marché, en dépit de la présence d'autres influences religieuses, plus individualistes, comme celles du taoïsme ou du bouddhisme.

Quelles sont les influences religieuses au Japon, l'un des marchés majeurs du luxe ?
Dans le contexte japonais, il y a une double influence du shintoïsme et du bouddhisme zen - souvent décrite comme une forme proche du protestantisme. On parle plus souvent de l'influence du bouddhisme zen, marqué par la retenue, la vacuité, sur les objets de la vie quotidienne, sur la délicatesse, la minutie. Le shintoïsme se vit plus qu'il ne s'énonce, à en croire les Japonais. Dans cette croyance, il y a l'idée de la pureté et de la simplicité, mais aussi un respect profond de ce qui vient de la nature.
On voit clairement le lien entre cette tradition et l'émergence des grandes marques de couture japonaises. Des grandes figures de la création de mode japonaise, comme Yôji Yamamoto ou Issey Miyake, mettent en scène ce minimalisme, ce respect de la matière brute. Pour autant, ces produits, ces créations sont parvenues à faire corps avec la mondialisation. On voit ici que les traditions religieuses fondent une certaine identité, mais que celle-ci peut s'affranchir des racines, se dépasser pour jouer avec ce que sont devenus aujourd'hui les codes de la mondialisation.
Du côté de la consommation, il faut signaler que le Japon est aussi influencé par le confucianisme. L'idée de la conformité y est donc extrêmement forte. Comme pour la Chine, le pourcentage de Japonais qui possèdent un sac à monogramme Louis Vuitton est très fort. La dimension de création, de savoir-faire associé à cette maison explique également le succès que ses produits rencontrent dans le pays. Ce qui est intéressant, c'est que le spectre de la tradition religieuse permet de décoder les origines, tant du point de vue de l'offre que de celui de la demande. Mais cela ne donne pas lieu à une consommation à dimension communautaire ou communautariste.

Lors de votre conférence à l'Institut français de la mode, le 5 juin, vous avez mentionné l'origine "protestante" d'Hermès. Identifiez-vous d'autres maisons de luxe marquées d'un courant religieux ?
Si vous prenez certaines marques italiennes, comme Versace, Dolce & Gabbana ou Roberto Cavalli, ce qui les caractérise au-delà de leur identité créative très propre, c'est la couleur, le spectaculaire, l'ostentation, bref c'est l'inverse de la sobriété. Dès lors, une référence vient naturellement à l'esprit : le baroque.
Quel est le lien avec la religion ? Au-delà d'être un courant artistique et esthétique, le baroque a aussi été une stratégie religieuse, comme le soulignent les historiens. Il visait par la couleur, par l'imagination, par les jeux d'illusion, par le spectaculaire, à séduire les fidèles lors de la Réforme. On retrouve aussi cette expression du jeu entre ce qui est caché et ce qui ne l'est pas, de l'imaginaire, du spectaculaire, dans le défilé de mode du Roma de Fellini.


Au-delà du luxe, existe-t-il des produits "bannis" pour des raisons religieuses ou à l'inverse des produits "privilégiés" par certaines croyances ?
L'enjeu ne porte pas tant sur les produits en tant que tels que sur la manière dont ils sont conçus, dont ils sont portés, dont ils sont arborés. Dans les textes hindouistes, les ornements et les bijoux sont très présents. On retrouve même cet aspect dans la langue, puisqu'en sanskrit le mot beauté est le même que celui qui évoque l'ornement. On est très loin des propos de l'Autrichien Adolf Loos selon lesquels l'ornement est un crime. Aujourd'hui, dans la tradition indienne, le bijou reste un élément majeur de l'esthétique. Le wahhabisme - secte radicale se réclamant de l'orthodoxie sunnite - interdit quant à lui le port de bijoux, dont le tintement évoque la présence de l'enfer.
Un autre cas intéressant est celui du parfum dans la tradition musulmane et dans la tradition catholique. Celui-ci est très présent dans les hadiths - les paroles du prophète. Il y est décrit comme un élément important, agréable et son usage est complètement légitimé. Il fait partie du quotidien, de l'ordre des choses. A l'inverse, dans les textes canonique du catholicisme, le parfum est associé à l'onction et à l'ensevelissement du corps. On est à l'encontre d'une quelconque suavité de son usage.
Aude Lasjaunias (propos recueillis pour Le Monde.fr) Source

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