Le choc des goûts.
. Les Amérindiens appréciaient tout ce que le Français méprisent et inversement. En 1645, lors d'un conseil de paix entre Français et Iroquois, un chef iroquois indique son dédain pour l'agriculture des Français. Il vante l'abondance du gibier (cerfs, orignaux, castors) dont la viande est meilleure que celle des cochons qui se nourrissent de toutes sortes de saletés.
. En Huronie poussent de la marjolaine sauvage et une espèce d'oignon blanc qui a aussi le goût de l'ail avec lequel les Français assaisonnent leurs sagamités, de sorte que les Français mangent leur ail «avec sel, pourpier, sans pain, sans huile et sans vinaigre» alors que les Hurons ne partagent pas leur repas; les Indiens en ont dégoût. Les Hurons ne consomment pas les herbes bien que le pourpier pousse dans leurs champs de maïs et de citrouilles.
. Dans une lettre à son fils, Marie de l'Incarnation précise que les Indiens ne sont habitués qu'aux choses douces et non salées, comme le bouillon de la sagamité. Selon le rédacteur de la Relation de 1658, Paul Lejeune, les amérindiens ont horreur des condiments et des sauces des Français: fromage de Hollande, raves, moutarde sont de ceux-là.
. Et le père Lejeune de raconter qu'une fois, il avait vu un Amérindien plonger sa cuillère dans un pot de moutarde, curieux de goûter tout ce qui se trouvait sur la table. Il aurait ainsi voulu démontrer son courage «mais les larmes le trahissaient», tout étonné de la force de cette «bouillie jaune».
. Les Amérindiens de Gaspésie, les Micmacs, ont eu horreur du pain et du vin des Français: ils considéraient le pain comme un morceau de bouleau et le vin comme du sang et associaient les repas français à un carnage, ce qui explique leur réticence à vouloir y goûter. Alors qu'en France on mêle le boire et le manger, les Algonquins ont une coutume différente dans leurs festins: ils mangent puis boivent. Les Amérindiens donnent à chacun leur part alors qu'en France on laisse chacun libre de trancher où bon lui semble. Alors que les Français parlent à table, les Amérindiens sont silencieux ou prou.
(c)Yvon Desloges, À table en Nouvelle-France, 2009
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